Arret Nº 4D_72/2017 Tribunal fédéral, 19-03-2018

Date19 mars 2018
Judgement Number4D_72/2017
Subject MatterDroit des contrats contrat de travail; atteinte à la personnalité du travailleur
Bundesgericht
Tribunal fédéral
Tribunale federale
Tribunal federal
4D_72/2017
Arrêt du 19 mars 2018
Ire Cour de droit civil
Composition
Mmes les Juges fédérales
Kiss, présidente, Klett et May Canellas.
Greffière: Mme Monti.
Participants à la procédure
A.________ SA,
représentée par Me François Bohnet,
recourante,
contre
B.________,
représentée par Me Johnny Dousse,
intimée.
Objet
contrat de travail; atteinte à la personnalité du travailleur,
recours constitutionnel subsidiaire contre l'arrêt rendu
le 23 août 2017 par la Cour d'appel civile du Tribunal cantonal du canton de Neuchâtel (CACIV.2016.92).
Faits :
A.
A.a. B.________ a obtenu en 2002 le certificat fédéral de capacité d'assistante dentaire. Elle a ensuite travaillé comme telle au service de deux médecins-dentistes dans le canton de Neuchâtel (d'août 2002 à juillet 2003, puis de septembre 2004 à mai 2006), ainsi qu'en Espagne (2003 à 2004). Selon les certificats de travail délivrés par les deux dentistes, B.________ est une excellente assistante, habile et consciencieuse tant pour le travail à quatre mains au fauteuil (c'est-à-dire aux côtés du dentiste traitant le patient) que pour les tâches administratives. Dotée d'un sens des responsabilités développé, elle est jugée ponctuelle, disponible et d'un contact agréable avec les patients comme avec ses collègues.
A.b. Le 1 er avril 2006, B.________ (ci-après: l'employée) a été engagée à 45% en qualité d'assistante dentaire par A.________ SA (ci-après: l'employeuse), dont l'administrateur unique est le médecin-dentiste C.________. Le taux d'activité a passé à 90% dès juin 2006.
Les 1 er mai 2007, 24 avril 2008 et 26 octobre 2009, l'employée a posé sa candidature successivement pour un travail de secrétaire auprès d'une école d'art, dans une manufacture et dans trois cliniques dentaires.
A.c. Au début du mois de septembre 2010, le dentiste C.________, en colère, a sommé l'apprentie M.________ de quitter immédiatement le cabinet dentaire. Celle-ci a déposé une plainte pénale contre le prénommé. Elle a en outre suscité une enquête administrative du médecin cantonal à l'encontre de l'employeuse concernant des questions d'hygiène.
A.d. Le 7 octobre 2010, le dentiste s'est mis en colère contre B.________ à propos d'un devis; il s'est emporté et a parlé très fort. L'employée a éclaté en sanglots et s'est rendue au Centre X.________, qui l'a dirigée vers le médecin de garde Y.________. Ce jour-là, l'employée est apparue triste et angoissée; elle se sentait persécutée par le dentiste et disait avoir peur en permanence depuis un mois. Des entretiens de soutien ont été mis en place. Un traitement antidépresseur a été prescrit dès que l'état de l'employée le permettait, soit après le premier trimestre de grossesse.
L'employée a été suivie par la doctoresse Y.________ du 7 octobre 2010 au 18 juillet 2011 en raison d'un épisode dépressif sévère. Pendant cette période, elle a été en incapacité de travail totale.
L'employée a accouché en mai 2011. Le 19 mai, elle a résilié son contrat de travail pour le 31 juillet 2011. Elle a débuté un nouvel emploi dans le courant du mois d'août 2011 comme assistante en prophylaxie dans un cabinet dentaire à....
A.e. N.________, qui était également assistante dentaire auprès de l'employeuse, a quitté celle-ci le 14 octobre 2010. Elle a invoqué un surmenage suite au départ de l'apprentie et de B.________ ainsi qu'une dépression liée à sa situation au cabinet. Une dénommée O.________, prédécesseur de B.________, avait elle aussi quitté l'employeuse pour cause de maladie. Enfin, l'hygiéniste dentaire P.________ a quitté l'employeuse le 8 décembre 2010 pour cause de maladie.
B.
B.a. Après avoir déposé une requête de conciliation le 9 août 2012, l'employée a saisi le Tribunal civil du Littoral et du Val-de-Travers (NE) d'une demande simplifiée visant à faire condamner l'employeuse au paiement d'une indemnité de 10'000 fr. pour tort moral.
Le Tribunal civil a entendu divers témoins. L'employée a renoncé à faire auditionner l'hygiéniste P.________ après que celle-ci eut demandé sa dispense en faisant valoir que l'assignation l'avait choquée, la stressait et perturbait son sommeil.
Le Tribunal a refusé de verser au dossier les déclarations verbalisées de B.________ et de l'apprentie M.________ recueillies dans l'enquête administrative et a refusé d'ordonner la production du dossier de cette enquête, qui contenait aussi le procès-verbal d'audition de P.________. Il a en outre écarté le dossier d'apprentissage de M.________ ainsi qu'un « mémo» rédigé par N.________ le 14 octobre 2010 à l'occasion de son départ.
Statuant par jugement du 19 juillet 2016, le Tribunal civil a rejeté la demande. Considérant que les parties avaient été liées par un contrat de travail, il a examiné si l'employeuse, par son administrateur, avait enfreint l'art. 328 CO en portant atteinte à la personnalité de la demanderesse. Il a répondu par la négative. Le Tribunal a notamment constaté que sous réserve du témoignage critique de l'apprentie M.________, laquelle avait été en conflit avec le dentiste, les témoins s'accordaient à décrire l'ambiance de travail comme plutôt bonne, ou à tout le moins normale. Les tensions survenues au sein du cabinet semblaient surtout liées au mauvais déroulement de l'apprentissage de la prénommée et en particulier à son départ en 2010. On ne pouvait conclure à une véritable dégradation du climat général de travail sur une longue durée, B.________ ayant elle-même cessé de travailler au sein du cabinet peu après le départ de l'apprentie. Son cahier des charges avait certes été réaménagé, mais on ne pouvait y voir un acte hostile ou une pression psychologique de nature à porter atteinte à son honneur, à sa considération dans l'entreprise ou à sa réputation sur le marché du travail. Si les relations entre les deux parties pouvaient être tendues à l'occasion et s'il arrivait au dentiste de se montrer colérique, son comportement ne visait pas plus la demanderesse que les autres employées et n'était pas constitutif de harcèlement psychologique. Il n'était pas établi qu'il ait enchaîné des propos hostiles ou des menaces personnalisées contre la demanderesse de façon fréquente et sur une assez longue période.
B.b. L'employée a fait appel de ce jugement auprès du Tribunal cantonal neuchâtelois.
B.b.a. Donnant suite aux réquisitions de l'employée, l'autorité d'appel a fait verser au dossier les témoignages verbalisés de B.________, M.________ et P.________ recueillis par le médecin cantonal, ainsi que le mémo rédigé par N.________ le 14 octobre 2010.
B.b.b. Par arrêt du 23 août 2017, la Cour d'appel a réformé le jugement entrepris en ce sens qu'elle a condamné l'employeuse à payer 6'000 fr. à B.________ en réparation du tort moral infligé par le dentiste, organe de l'employeuse.
En substance, la Cour d'appel a retenu les faits suivants:
- peu après l'arrivée de B.________, le dentiste a décidé sans explication et sans motif objectif de modifier le partage des tâches entre ses deux collaboratrices, affectant la prénommée essentiellement à des tâches de bureau tandis que N.________ devait assister le dentiste au fauteuil. Rien n'indiquait que celle-ci ait été plus qualifiée que celle-là pour ce type de travail. B.________ était tout au plus appelée au fauteuil lorsque le dentiste et l'autre assistante ne s'en sortaient pas à quatre mains. Les deux employées se sont plaintes de cette répartition auprès du dentiste, sans succès.
Les deux assistantes et l'apprentie devaient par ailleurs s'occuper des tâches ménagères. N.________ en assumait beaucoup moins que B.________ du fait qu'elle travaillait au fauteuil à plein temps.
- Le dentiste traitait différemment ses deux assistantes sans que le moindre motif le justifie. Il avait des exigences plus élevées à l'encontre de B.________ et s'énervait plus facilement contre elle (et contre l'apprentie). Il se montrait vite colérique face aux éventuelles fautes que B.________ pouvait faire dans ses devis ou facturations. Comme celle-ci commettait peu de fautes, il ne se fâchait pas régulièrement, mais fortement. Il allait jusqu'à s'acharner sur elle des fautes commises par N.________. Lorsque le dentiste s'énervait contre B.________, il avait un regard menaçant; il pouvait également avoir une attitude menaçante vis-à-vis de l'apprentie. Il avait besoin de temps à autre de «décharger ses humeurs » sur quelqu'un. En septembre 2010, il a reproché à B.________ d'avoir abusé de son temps de pause alors qu'elle n'avait pris que 12 minutes pour manger; l'employée a fondu en larmes.
- Dans le cadre des reproches qu'il adressait à B.________, le dentiste l'a régulièrement menacée de licenciement ou de retenues sur son salaire, en adoptant un regard ou une posture menaçante. Ces menaces pouvaient aussi être proférées contre N.________. B.________ a reproché plusieurs fois au dentiste son comportement, notamment ses menaces qu'elle jugeait injustifiées.
- Le dentiste a tenté de faire pression sur B.________ pour...

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