Arret Nº 4A 618/2020 Tribunal fédéral, 02-06-2021

Date02 juin 2021
Judgement Number4A 618/2020
Subject MatterJuridiction arbitrale arbitrage international en matière de sport,
Bundesgericht
Tribunal fédéral
Tribunale federale
Tribunal federal
4A_618/2020
Arrêt du 2 juin 2021
Ire Cour de droit civil
Composition
Mmes et M. les Juges fédéraux
Hohl, présidente, Kiss, Niquille, Rüedi et May Canellas.
Greffier: M. O. Carruzzo.
Participants à la procédure
A.________,
représenté par Mes Jean Marguerat et James F. Reardon, ainsi que par Me Franz X. Stirnimann Fuentes,
recourant,
contre
World Athletics,
(anciennement International Association of Athletics Federations),
représentée par Mes Ross Wenzel et Nicolas Zbinden,
intimée.
Objet
arbitrage international en matière de sport,
recours en matière civile contre la sentence rendue le 23 octobre 2020 par le Tribunal Arbitral du Sport (CAS 2020/A/6807).
Faits :
A.
A.a. A.________ (ci-après: l'athlète) est un athlète xxx spécialiste de la discipline du 400 mètres. Souffrant d'une malformation congénitale, il a subi une amputation des membres inférieurs au niveau des deux genoux à l'âge de quatre ans. Afin de pouvoir courir, l'athlète utilise des prothèses constituée de lames en fibres de carbone, dont le modèle est connu sous le nom de Ottobock 1E90 Sprinter de catégorie 3 (ci-après: les prothèses).
World Athletics (anciennement: International Association of Athletics Federations; ci-après: l'IAAF, selon son ancien acronyme anglais), association ayant son siège à Monaco, est la structure faîtière de l'athlétisme au niveau international.
A.b. En sa qualité d'instance dirigeante de l'athlétisme au niveau mondial, l'IAAF a adopté divers règlements régissant les épreuves internationales d'athlétisme, parmi lesquels figurent notamment les " Règles de compétition " (édition 2018/2019). Les dispositions pertinentes des Règles de compétition ont été récemment retranscrites, en des termes identiques mais selon une numérotation différente, dans les " Règles techniques ".
Sous la rubrique " Aide non autorisée ", les Règles techniques prévoient notamment ce qui suit:
" 6.3 " For the purpose of this Rule, the following examples shall be considered assistance, and are therefore not allowed:
(...)
6.3.4 The use of any mechanical aid, unless the athlete can establish on the balance of probabilities that the use of an aid would not provide him with an overall competitive advantage over an athlete not using such aid.
(...) ".
A.c. En 2009, l'athlète a débuté sa carrière sportive en s'alignant dans les épreuves de course réservées aux athlètes en situation de handicap. Il a remporté plusieurs médailles lors des Jeux paralympiques de Londres 2012 et des Championnats du monde de para-athlétisme 2013.
Dès juin 2017, l'athlète a commencé à s'aligner dans l'épreuve du 400 mètres aux côtés d'athlètes dits " valides " ("able bodied athletes"). Le 4 juin 2018, il a franchi la ligne d'arrivée de l'épreuve du 400 mètres en 44,42 secondes lors d'une compétition approuvée par l'IAAF, réalisant ainsi un temps qui lui permettait de se qualifier pour les Jeux olympiques de Tokyo 2020, repoussés en raison de la crise liée au coronavirus.
Le 19 juin 2018, l'athlète a été informé de l'annulation des résultats obtenus lors des courses qu'il avait disputées depuis avril 2018, au motif qu'il n'avait pas fourni d'éléments à l'IAAF démontrant qu'il ne tirait aucun avantage compétitif de l'usage de ses prothèses.
A.d. Le 3 juillet 2019, l'athlète a demandé à l'IAAF de rendre une décision confirmant que ses prothèses étaient réglementaires. Il a notamment fait valoir que celles-ci ne lui procuraient aucun avantage compétitif par rapport aux athlètes " valides " et que l'IAAF n'avait de toute manière pas rapporté la preuve d'un tel avantage. A l'appui de sa requête, l'athlète a produit un rapport établi par les Drs B.________, C.________ et D.________ (ci-après: le rapport B.________). Après avoir examiné les performances réalisées par l'athlète entre le 19 et le 24 août 2018 et procédé à toute une série de tests, les auteurs dudit rapport ont abouti à la conclusion que les prothèses utilisées par l'athlète ne lui conféraient aucun avantage compétitif par rapport aux athlètes " valides ".
Le 18 février 2020, l'IAAF a refusé de faire droit à la requête de l'athlète, au motif que ce dernier avait failli à démontrer que l'usage de ses prothèses ne lui conférait aucun avantage compétitif global par rapport aux athlètes " valides ".
B.
B.a. En date du 27 février 2020, l'athlète a appelé de cette décision auprès du Tribunal Arbitral du Sport (TAS).
L'athlète a, notamment, prié le TAS de prononcer que l'art. 6.3.4 des Règles techniques, en tant qu'il fait supporter à l'athlète le fardeau de la preuve de l'absence d'un avantage compétitif lié à l'utilisation de prothèses, consacre une discrimination inadmissible à l'égard des athlètes en situation de handicap. Il a aussi invité le TAS à constater qu'il pouvait prendre part à l'épreuve du 400 mètres lors de toutes les compétitions organisées par l'IAAF en utilisant ses prothèses actuelles.
Une Formation de trois membres a été constituée par le TAS. L'anglais a été retenu comme langue de l'arbitrage.
Le 28 avril 2020, l'IAAF a demandé au TAS de donner l'ordre à l'appelant de fournir certaines informations relatives à la taille à laquelle il entendait prendre part aux compétitions d'athlétisme et à sa Taille Maximum Autorisée en Position Debout selon la règle MASH 2018 (Maximum Allowable Standing Height). A l'appui de cette requête, elle a relevé que l'utilisateur de prothèses peut moduler la hauteur de celles-ci et agir ainsi sur sa taille. De l'avis de l'IAAF, l'athlète court à une hauteur trop élevée, car la taille qu'il atteint avec ses prothèses est plus grande que celle qu'il aurait eue si ses membres inférieurs n'avaient pas été amputés. La règle MASH, établie par le Comité International Paralympique (CIP) et World Para Athletics, repose sur une formule visant à déterminer la longueur des membres inférieurs d'un athlète amputé et sa taille si celui-ci n'avait pas subi d'amputation. L'athlète amputé est ainsi tenu de régler ses prothèses de manière à ce qu'il n'atteigne pas une taille supérieure à celle déterminée selon la règle MASH. Le CIP a modifié la règle MASH avec effet au 1er janvier 2018, ce qui s'est traduit, dans la plupart des cas, par une diminution de la hauteur des prothèses utilisées par les athlètes amputés des deux jambes. Selon l'IAAF, la réduction de la hauteur des prothèses affecte négativement la performance des athlètes concernés, raison pour laquelle il est nécessaire de connaître la taille de l'athlète selon la règle MASH 2018.
L'appelant s'est opposé à cette requête, en soulignant que la règle MASH n'est pas pertinente en l'espèce, puisqu'elle ne s'applique pas aux épreuves organisées par l'IAAF opposant des compétiteurs qui présentent un handicap à des athlètes " valides ".
Invité par le TAS à fournir les informations requises par l'IAAF, l'athlète s'est exécuté en date du 26 mai 2020.
L'IAAF a déposé sa réponse le 1er juin 2020.
La Formation a tenu audience par vidéoconférence les 13 et 15 juillet 2020.
B.b. En date du 23 octobre 2020, la Formation a rendu sa sentence finale dont le dispositif énonce notamment ce qui suit:
" 1. The appeal filed by Mr. A.________ against the International Association of Athletics Federations with the Court of Arbitration for Sport on 27 February 2020 is partially upheld.
2. Rule 6.3.4 of the World Athletics Technical Rules is unlawful and invalid insofar as it places the burden of proof upon an athlete desiring to use a mechanical aid to establish that the use of the mechanical aid will not provide the athlete with an overall competitive advantage over an athlete not using such an aid.
3. The International Association of Athletics Federations has established on a balance of probabilities that the particular running specific prostheses used by Mr. A.________ give him an overall competitive advantage over an athlete not using such a mechanical aid. Accordingly, A.________ may not use his particular running specific prostheses in the Olympic Games or World Athletics Series competitions.
4. The costs of the arbitration shall be borne as to 30% by Mr. A.________ and as to 70% by the International Association of Athletics Federations.
5. Each party shall bear their own legal and other costs of these appeal proceedings.
6. (...) ".
Les motifs de cette sentence seront résumés ci-après dans la mesure utile au traitement des griefs invoqués par l'athlète.
B.b.a. La Formation commence par relater les faits pertinents à ses yeux (sentence, n. 1-46). Elle insiste notamment sur le fait que la présente procédure ne porte pas sur la question plus large de savoir si les athlètes en situation de handicap devraient être ou non autorisés à prendre part aux compétitions internationales d'athlétisme aux côtés des athlètes " valides ", et dans l'affirmative, à quelles conditions. Dans le cadre de cette procédure d'appel, les arbitres doivent rechercher le sens de l'art. 6.3.4 des Règles techniques, examiner si cette règle est juridiquement admissible et déterminer si l'athlète peut, au regard de la disposition réglementaire précitée, s'aligner dans l'épreuve du 400 mètres en utilisant ses prothèses actuelles (sentence, n. 8). La Formation résume ensuite la procédure, telle qu'elle a été conduite sous son autorité (sentence, n. 47-103). Après quoi, elle expose les arguments qui ont été avancés par l'athlète et par l'IAAF pour étayer, le premier son appel (sentence, n. 104-170), la seconde sa réponse (sentence, n. 171-255); elle le fait dans les deux cas en résumant la position des parties et en détaillant les preuves fournies par elles (témoignages et avis d'experts) ainsi que leurs conclusions respectives.
B.b.b. Dans les chapitres suivants de la sentence attaquée, la Formation constate, en premier lieu, d'une part, sa...

Pour continuer la lecture

SOLLICITEZ VOTRE ESSAI

VLEX uses login cookies to provide you with a better browsing experience. If you click on 'Accept' or continue browsing this site we consider that you accept our cookie policy. ACCEPT