Arret Nº 4A 484/2018 Tribunal fédéral, 10-12-2019

Judgement Number4A 484/2018
Date10 décembre 2019
Subject MatterDroit des contrats contrat de travail; compétence; faits à double pertinence
Bundesgericht
Tribunal fédéral
Tribunale federale
Tribunal federal
4A_484/2018
Arrêt du 10 décembre 2019
Ire Cour de droit civil
Composition
Mmes les Juges fédérales
Kiss, présidente, Niquille et May Canellas.
Greffière Monti.
Participants à la procédure
X.________,
représentée par Me Michael Rudermann,
demanderesse et recourante,
contre
Hoirie de feu Z.________, soit:
1. Z.A.________,
2. Z.B.________,
3. Z.C._ _______,
4. Z.D.________,
tous quatre représentés par
Me Susannah Maas Antamoro de Céspedes,
défendeurs et intimés.
Objet
contrat de travail; compétence; faits à double pertinence,
recours en matière civile contre l'arrêt rendu le 31 juillet 2018 par la Chambre des prud'hommes de la Cour de justice du canton de Genève (C/9720/2016-5; CAPH/107/2018).
Faits :
A.
A.a. X.________ et Z.________ ont entretenu pendant 38 ans une relation amoureuse qui ne s'est achevée que par le décès du prénommé en avril 2014.
Au cours de l'année 2011, la santé de Z.________ a décliné.
Le 28 mars 2012, ce dernier a adressé à son amie un courrier dans lequel il indiquait résumer l'accord auquel ils étaient parvenus. En préambule, il rappelait que X.________ avait travaillé pendant de nombreuses années pour une société dont il était le président et l'actionnaire majoritaire. Après qu'il eut vendu sa société, elle s'était installée au Portugal tout en lui servant d'assistante lors de nombreux voyages. Compte tenu de son âge avancé (89 ans) et de son état de santé, il lui avait proposé de quitter sa maison à Lisbonne pour venir à Genève lui apporter une aide suivie dans les problèmes de la vie quotidienne et continuer à l'assister dans ses affaires privées.
Selon ce courrier, X.________ était ainsi engagée «en qualité d'assistante personnelle et d'aide pour les problèmes de la vie quotidienne» à compter du 1 er avril 2012 pour une durée indéterminée. Son salaire mensuel était de 3'000 fr. bruts pour une activité de 30 heures hebdomadaires réparties sur six jours. En plus de ce salaire, la prénommée bénéficierait d'une chambre particulière et serait nourrie. Pour le surplus, les dispositions du contrat-type genevois «pour les employés de l'économie domestique» étaient déclarées applicables.
Il était encore précisé qu'au moment où le contrat prendrait fin, X.________ toucherait une indemnité de 36'000 fr. nets en plus du salaire dû à cette date, en raison de son déplacement à Genève qui impliquait l'effort particulier de quitter sa demeure portugaise.
X.________ a contresigné pour accord cette lettre qui était également signée par Z.________.
A.b. X.________ est de nationalité portugaise. Par courrier du 29 mars 2012 rédigé par son avocat d'alors, elle a sollicité une autorisation de séjour de longue durée, que l'Office cantonal de la population lui a délivrée avec une échéance au 26 mars 2017.
Le 9 août 2012, Z.________ a informé la caisse cantonale de compensation qu'il avait engagé la prénommée en tant qu'assistante personnelle à compter du 1 er juillet 2012. La caisse de compensation a fait parvenir à l'intéressée un certificat d'assurance AVS/AI.
Le 4 septembre 2012, Z.________ a signé une procuration habilitant son « assistante personnelle» X.________ à obtenir toutes informations nécessaires auprès de ses médecins.
Le 5 décembre 2012, Z.________ ainsi que deux de ses fils (Z.B.________ et Z.C.________) et X.________ ont signé un document intitulé «Mes instructions» dont le point 6 prévoyait qu'en cas de maladie de Z.________, « [s]es fils s'occuper[aie]nt de [s]es soins médicaux ainsi que [X.________] en sa qualité d'assistante personnelle avec procuration de [s]a part pour avoir accès à [s]a personne ainsi qu'aux médecins et hôpitaux ».
Par courriers du 3 mars 2014, Z.________ a demandé à ses deux fils précités de ne pas traiter X.________ avec désinvolture dès lors qu'elle s'occupait de lui avec dévouement depuis 38 ans et avait sacrifié chaque jour dès le début de sa maladie pour qu'il puisse avoir une vie digne.
A.c. Z.________ est mort le 15 avril 2014.
Par courrier du 8 mai 2014, X.________ a transmis au représentant de l'hoirie une liste des employés de feu Z.________ en précisant les montants qui leur étaient dus à fin avril 2014; son propre nom ne figurait pas sur cette liste recensant quatre personnes. Dans un courrier parallèle, elle a signalé que les quatre employés en question n'avaient pas reçu leur lettre de congé; son nom n'était pas mentionné.
A.d. Selon un extrait de son compte individuel AVS/AI émis par l'Office cantonal des assurances sociales (OCAS), X.________ a touché de son employeur Z.________ un salaire de 23'940 fr. pour l'année 2012 (juillet à décembre) et de 47'880 fr. pour la totalité de l'année 2013.
Le bulletin de salaire concernant le mois de juillet 2012 indique un salaire mensuel brut total de 3'990 fr., dont 990 fr. pour le logement et les repas gratuits, respectivement un salaire net de 2'212 fr. 90, après déduction de l'impôt à la source (264 fr. 55), des cotisations sociales (323 fr. 60) et de la prévoyance professionnelle (198 fr. 95).
Dans une missive du 15 août 2016 postérieure à l'introduction de la procédure évoquée ci-dessous, l'ancien avocat de X.________ a expliqué au confrère lui ayant succédé dans quelles circonstances il avait déposé une demande d'autorisation auprès de l'Office cantonal de la population. Il précisait notamment avoir rendu des visites à feu Z.________ et avoir pu constater que le travail de X.________ à ses côtés était effectif; il avait par exemple dû patienter à plusieurs reprises avant d'être reçu car la prénommée exigeait que Z.________ accomplisse ses exercices d'entretien physique sans interruption.
B.
B.a. Le 9 mai 2016, X.________ a saisi l'autorité de conciliation d'une requête en paiement dirigée contre l'hoirie de Z.________ comprenant sa veuve Z.A.________, leurs deux fils Z.B.________ et Z.C.________, ainsi que son fils Z.D.________, né d'un premier lit.
La conciliation ayant échoué, X.________ a déposé une demande devant le Tribunal des prud'hommes du canton de Genève, soit l'instance compétente pour connaître «[d]es litiges découlant d'un contrat de travail, au sens du titre dixième du code des obligations» (art. 1 al. 1 let. a de la loi genevoise sur le Tribunal des prud'hommes [LTPH; RS/GE E 3 10]).
Arguant du fait qu'elle avait été liée au défunt par un contrat de travail qui serait attesté notamment par la lettre du 28 mars 2012, elle a pris des conclusions en paiement de 72'298 fr. 95 plus intérêts, somme incluant:
- un solde de salaire de 10'500 fr. bruts pour la période du 1 er janvier au 15 avril 2014,
- une indemnité de 7'798 fr. 95 bruts pour des vacances (5'374 fr.) et jours fériés (2'424 fr. 95) non pris en nature,
- une indemnité équitable de 18'000 fr. nets fondée sur l'art. 338a al. 2 CO, et enfin,
- une indemnité de 36'000 fr. nets fondée sur l'accord du 28 mars 2012.
Les membres de l'hoirie ont conclu à l'irrecevabilité de la demande, subsidiairement à son rejet. Contestant l'existence d'une relation de travail effective, ils ont plaidé que le contrat avait été conclu dans l'unique but de procurer à la demanderesse un permis de séjour pour régulariser sa situation. Ils ont contesté que celle-ci aie habité au Portugal jusqu'en 2012, alléguant qu'elle résidait aux côtés de son concubin bien avant cette période.
Entendue par le Tribunal, la demanderesse a notamment déclaré ce qui suit: «A partir de 2012, j'ai eu un salaire. Je ne me souviens pas comment il était versé. Probablement en liquide. Je recevais fr. 3'000.- de main à main je crois. »
Par jugement du 11 août 2017, le Tribunal des prud'hommes a partiellement admis la demande, condamnant les membres de l'hoirie à verser 36'000 fr. nets plus intérêts à la demanderesse. La compétence ratione materiae du tribunal, qui devait s'apprécier à l'aune des seuls éléments articulés par la demanderesse, était vérifiée. Sur le fond, l'examen des preuves recueillies conduisait à la conclusion qu'aucun contrat de travail ne liait la demanderesse à feu Z.________. Ceci dit, tous deux avaient conclu un contrat sui generis prévoyant expressément le versement de 36'000 fr. à la fin du contrat. Les défendeurs n'avaient pas contesté que le défunt souhaitait donner 36'000 fr. à la demanderesse, si bien que cette obligation devait être respectée en vertu du principe pacta sunt servanda.
B.b. Tant la demanderesse que les défendeurs ont fait appel de cette décision. La première a conclu au paiement de 75'298 fr. 95, justifiant l'augmentation de ses conclusions (3'000 fr.) par une erreur de plume manifeste affectant l'un des postes (solde de salaire de 13'500 fr. au lieu de 10'500 fr.). Pour leur part, les défendeurs ont conclu à l'irrecevabilité de la demande, subsidiairement à son rejet.
Par arrêt du 31 juillet 2018, la Chambre des prud'hommes de la Cour de justice genevoise a déclaré irrecevable la demande déposée par X.________. La Chambre a jugé qu'à ce stade de la procédure, la théorie des faits doublement pertinents n'avait plus cours. La question de la compétence devait être tranchée en tenant compte des déterminations des deux parties et de tous les éléments résultant de l'instruction, sans se limiter aux allégués et moyens de la demanderesse comme l'avait fait le Tribunal des prud'hommes. En l'occurrence, l'existence d'un contrat de travail n'était pas avérée. La juridiction prud'homale n'était pas compétente pour connaître de prétentions qui ne reposaient pas sur un contrat de travail; il s'ensuivait l'irrecevabilité de la demande.
C.
La demanderesse a saisi le Tribunal fédéral d'un recours en matière civile à l'issue duquel elle conclut principalement à l'annulation de l'arrêt attaqué et au renvoi de la cause à l'autorité précédente pour nouvelle décision dans le sens des considérants...

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