Arret Nº 4A 34/2021 Tribunal fédéral, 18-03-2022

Judgement Number4A 34/2021
Date18 mars 2022
Subject MatterDroit des contrats action introduite par l'administrateur d'une faillite étrangère; interprétation des manifestations de volonté,
Bundesgericht
Tribunal fédéral
Tribunale federale
Tribunal federal
4A_34/2021
Arrêt du 18 mars 2022
I
Composition
Mmes et M. les Juges fédéraux
Hohl, Présidente, Kiss, Niquille,
Rüedi et May Canellas.
Greffière: Monti.
Participants à la procédure
A.________,
représenté par Me Laurent Isenegger, avocat,
défendeur et recourant,
contre
Z.________,
représenté par Me Beat Mumenthaler, avocat,
demandeur et intimé.
Objet
action introduite par l'administrateur d'une faillite étrangère; interprétation des manifestations de volonté,
recours en matière civile contre l'arrêt rendu
le 24 novembre 2020 par la Chambre civile
de la Cour de justice du canton de Genève (C/26806/2014; ACJC/1670/2020).
Faits :
A.
A.a. A.________ est un homme d'affaires doté d'une formation d'avocat jadis domicilié à Genève.
Le ressortissant allemand X.________ est l'actionnaire unique de Y.________ AG. Cette société sise à..., dans le Land du Bade-Wurtemberg (Allemagne), oeuvrait à l'époque dans le secteur de l'énergie éolienne.
A.b. Les deux hommes se sont rencontrés en 2010. Ils ont envisagé de fonder une société pour promouvoir les activités de Y.________ AG dans la principauté de Monaco.
A.________ a résumé les contours de leur projet dans une missive du 17 novembre 2010 rédigée en français à l'attention de "Monsieur X.________, p.a. Y.________ AG". Celui-ci était invité à apposer sa signature s'il acceptait les "propositions" formulées dans ce "premier brouillon"; un avocat serait alors chargé de "rédiger une proposition d'accord plus détaillée ".
En substance, l'homme d'affaires suggérait de créer, pour le compte de X.________ et le sien, une société de droit monégasque dévolue à la recherche d'investisseurs intéressés par des projets éoliens, selon le schéma suivant:
"Les actions de cette société monégasque feraient partie de la société simple que nous formerions ensemble.
(...)
Sur un plan financier, l'idée générale est que nous partagions par moitié l'intégralité des profits réalisés grâce aux projets futurs pour lesquels je serais susceptible de t'amener des investisseurs.
(...)
Jusqu'à ce que la future société monégasque soit à même de me payer une rémunération équival[a]nt à EUR 250'000.- par année, tu prends l'engagement envers moi d'avancer cette rémunération (...).
(...)
Tu t'engages également à avancer, à titre de prêt actionnaire, l'intégralité des coûts de constitution de la société monégasque, ainsi que des éventuels coûts de fonctionnement, tant que ces derniers ne s[er]ont pas couverts par les revenus générés par la société monégasque. Ces avances te seront remboursées par la société monégasque (...).
Pour le cas où, contre toute attente, le projet n'aboutirait pas, respectivement ne permettrait pas de couvrir la rémunération annuelle mentionnée ci-dessus, tu renoncerais à solliciter la récupération des montants avancés à ce titre.
(...)."
X.________ maîtrisant mal la langue de Molière, il s'est fait traduire ce document avant de le contresigner pour accord le 11 décembre 2010.
A.c. Le 1er avril 2011, A.________ a communiqué ses coordonnées bancaires au directeur juridique de Y.________ AG en prévision d'un transfert de EUR 400'000.-. Exécuté le 8 avril 2011, le versement a été enregistré dans les comptes de Y.________ AG en tant que "Monaco Joint-Venture". Il y a ensuite figuré sous l'intitulé "Ausleihung A.________" [prêt A.________].
Le 26 avril 2011, A.________ a fait parvenir deux projets de contrats au même directeur juridique. Le premier, dénommé "General Joint-Venture Agreement", devait être conclu entre lui-même et X.________. Le second, qualifié d'"Exclusive Broker Agreement ", réglementait les relations entre Y.________ AG et la future société monégasque.
Ces contrats n'ont pas été signés et la société monégasque n'a jamais vu le jour.
A.________ a facturé EUR 286'275.- à Y.________ AG pour la période du 13 octobre 2010 au 31 août 2011. La société a payé ce montant qui incluait la "rémunération annuelle de base" du prénommé et le remboursement de frais divers.
En décembre 2011, Y.________ AG a vainement demandé au prénommé de lui rembourser EUR 400'000.-.
Le 27 février 2012, X.________ a lui aussi exigé la restitution de cette somme en ces termes: "A.________, bitte zahle jetzt sofort mein Geld zurück" [A.________, rends-moi s'il te plaît mon argent immédiatement].
Le 8 mai 2012, le conseil de A.________ a signifié à Y.________ AG que son mandant n'acceptait pas la résiliation de leur accord et refusait de rendre les 400'000 euros.
Le 17 mai 2012, le conseil de Y.________ AG a transmis à A.________ deux propositions de remboursement limité dans un cas à EUR 200'000.- et dans l'autre à EUR 300'000.-. L'intéressé les a déclinées.
A.d. Le 1er décembre 2013, le Tribunal de l'arrondissement de... (Allemagne) a prononcé la faillite de Y.________ AG, devenue entretemps Y.________ GmbH; il a désigné l'avocat Z.________ comme administrateur de la faillite.
Celui-ci a vainement sommé A.________ de rembourser EUR 400'000.-.
B.
B.a. Le 24 décembre 2014, Z.________ a assigné A.________ en conciliation devant le Tribunal de première instance du canton de Genève. Il a ensuite déposé une demande en paiement de EUR 400'000.-.
Le défendeur a conclu au rejet et opposé en compensation une créance de EUR 450'000.- censée découler d'un contrat de courtage. Il s'est toutefois abstenu de prendre des conclusions reconventionnelles.
Le 20 novembre 2019, le Tribunal de première instance a condamné le défendeur à verser EUR 400'000.- à l'administrateur de la société allemande.
Cette autorité a reconnu à Z.________ la "qualité pour agir en tant qu'administrateur de l'insolvabilité". Sur le fond, elle a jugé que A.________ s'était engagé envers Y.________ AG par mandat du 11 décembre 2010 à gérer la constitution d'une société monégasque. Ce contrat était soumis au droit suisse dès lors que le prénommé, débiteur de la prestation caractéristique (art. 117 al. 2 LDIP [RS 291]), était basé à Genève. La société allemande avait droit au remboursement de EUR 400'000.- du moment que l'entité monégasque n'avait finalement pas été créée et que l'argent n'avait pas servi à payer des loyers ou autres salaires.
B.b. La Cour de justice genevoise a rejeté l'appel du défendeur en opérant une substitution de motifs.
Pour les juges cantonaux, l'accord du 11 décembre 2010 revêtait les traits d'un contrat de société simple. X.________ s'était associé à A.________. Le droit suisse régissait cette société simple, à mesure que les démarches visant à fonder l'entité monégasque incombaient au second nommé, lequel était établi à Genève d'où il exerçait son activité professionnelle.
Y.________ AG avait consenti un prêt de EUR 400'000.- à la société simple, en prévision des frais de constitution de l'entité monégasque. Les deux associés répondaient solidairement des dettes sociales. Aussi la prêteuse (respectivement l'administrateur de la faillite) pouvait-elle rechercher l'un ou l'autre pour la totalité de la dette de prêt. Selon le droit allemand, la créance en remboursement était exigible.
C.
Agissant par la voie d'un recours en matière civile, le défendeur A.________ a requis du Tribunal fédéral qu'il rejette entièrement la demande en paiement. Subsidiairement, il a sollicité le renvoi de la cause aux autorités cantonales.
L'administrateur de la faillite allemande (l'intimé) a déposé une réponse concluant au rejet du recours, qui a suscité une réplique de la partie adverse. Une duplique s'en est suivie.
L'autorité précédente s'est référée à son arrêt.
Considérant en droit :
1.
Les conditions générales de recevabilité du recours en matière civile sont respectées, en particulier celles imposant un délai de recours de 30 jours (art. 100 al. 1 LTF en lien avec l'art. 46 al. 1 let. c LTF) et une valeur litigieuse minimale de 30'000 fr. (art. 74 al. 1 let. b LTF).
2.
2.1. Quand bien même les parties n'en soufflent mot, la cour de céans ne peut esquiver la question de savoir si l'administrateur de la faillite allemande Z.________ est à même d'intenter un procès pour le compte de la faillie Y.________ GmbH.
Le premier juge n'y a consacré que quelques lignes. De son point de vue, la Convention de Lugano concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale (CL; RS 0.275.12) lui permettait de reconnaître à titre préjudiciel le jugement de faillite prononcé en Allemagne; ne trouvant manifestement aucun obstacle à une telle reconnaissance, il a prêté à Z.________ la faculté de conduire le procès.
L'arrêt sur appel ne revient pas sur cette analyse.
En réalité, la Convention de Lugano exclut les faillites, concordats et autres procédures analogues de son champ d'application (art. 1 § 2 let. b CL), de sorte qu'on ne peut rien en inférer concernant l'administrateur de la faillite étrangère et sa capacité de procéder (arrêt 5A_520/2016 du 19 janvier 2017 consid. 2.2).
Confrontée à une erreur manifeste, la cour de céans se doit d'examiner d'office cette question juridique (cf. par ex. ATF 140 III 115 consid. 2).
2.2. Dans un Etat pratiquant le principe de territorialité de l'exécution forcée, une faillite prononcée par une autorité étrangère ne déploie aucun effet: le failli continue à pouvoir disposer librement de ses biens sur ce territoire (CHARLES JAQUES, La reconnaissance et les effets en Suisse d'une faillite ouverte à l'étranger, 2006, p. 7).
Ce principe vaut en Suisse, sous réserve des traités internationaux (art. 1 al. 2 LDIP) et des tempéraments apportés par la LDIP (Message du 10 novembre 1982 concernant une loi fédérale sur le droit international privé, FF 1983 I 436 ad ch. 210.2) : l'administration de la faillite étrangère, le débiteur ou un créancier peut demander la reconnaissance...

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