Arret Nº 4A 306/2019 Tribunal fédéral, 25-03-2020

Judgement Number4A 306/2019
Date25 mars 2020
Subject MatterJuridiction arbitrale arbitrage international
Bundesgericht
Tribunal fédéral
Tribunale federale
Tribunal federal
4A_306/2019
Arrêt du 25 mars 2020
Ire Cour de droit civil
Composition
Mmes et M. les Juges fédéraux
Kiss, Présidente, Hohl, Niquille, Rüedi, May Canellas.
Greffier : M. Curchod.
Participants à la procédure
A.________ S.L.,
représentée par Dr Xavier Favre-Bulle et Dr Hanno Wehland, Avocats,
recourante,
contre
République bolivarienne du Vénézuela,
représentée par Me Guerric Canonica, avocat,
intimée.
Objet
arbitrage international,
recours contre la sentence arbitrale du
Tribunal arbitral avec siège à Genève du 20 mai 2019 (CPA No. 2015-30).
Faits :
A.
A.________ S.L. (ci-après: A.________ Espagne, la recourante) est une société de droit espagnol sise à B.________ ayant été constituée le 15 avril 2011 par un représentant de sa société mère, C.________. Dans le cadre de la création de la recourante, C.________ a effectué un apport en nature en transférant les actions qu'elle détenait dans la filiale vénézuelienne du groupe, D.________ S.A. Dès lors, la recourante est propriétaire de l'intégralité des actions de D.________ S.A.
Le présent litige a pour toile de fond les activités déployées par D.________ S.A. sur le territoire de la République bolivarienne du Vénézuela (ci-après: le Venezuela, l'intimée). La recourante fait valoir des prétentions à l'encontre de l'intimée qu'elle déduit de la convention visant à l'encouragement et la protection réciproques des investissements conclue entre l'Espagne et le Venezuela le 2 novembre 1995 (" Convenio entre el Gobierno del Reino de España y el Gobierno de la República Bolivariana de Venezuela para la Promoción y la Protección Recíproca de Inversiones "; ci-après: le TBI).
B.
Le 18 mai 2015, la recourante, se basant sur la clause arbitrale incluse dans le TBI, a introduit une procédure d'arbitrage contre l'intimée en vue d'obtenir le paiement de dommages-intérêts pour cause de violation des art. III (1), V, IV (1) du TBI. Un tribunal arbitral de trois membres a été constitué, conformément au Règlement d'arbitrage de la Commission des Nations Unies pour le droit commercial international (CNUDCI), sous l'égide de la Cour permanente d'arbitrage (CPA), et son siège fixé à Genève. L'espagnol a été désigné comme langue de l'arbitrage.
Par sentence du 20 mai 2019, le Tribunal arbitral s'est déclaré incompétent pour statuer sur la demande et a mis les frais de la procédure arbitrale à la charge de la recourante.
C.
La recourante forme un recours en matière civile, pour violation de l'art. 190 al. 2 let. b de la loi fédérale sur le droit international privé du 18 décembre 1987 (LDIP; RS 291), aux fins d'obtenir l'annulation de la sentence du 20 mai 2019 et la constatation de la compétence du Tribunal arbitral pour trancher au fond le litige divisant les parties.
L'intimée conclut au rejet du recours, subsidiairement au renvoi de la cause au Tribunal arbitral pour nouvelle sentence dans le sens des considérants. Le Tribunal arbitral a renoncé à se déterminer.
Les parties ont spontanément déposé une réplique et une duplique dans lesquelles elles ont maintenu leurs conclusions initiales.
Considérant en droit :
1.
D'après l'art. 54 al. 1 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110), le Tribunal fédéral rédige son arrêt dans une langue officielle, en règle générale dans la langue de la décision attaquée. Lorsque cette décision a été rendue dans une autre langue (ici l'espagnol), le Tribunal fédéral utilise la langue officielle choisie par les parties. Les parties ayant rédigé leurs mémoires adressés au Tribunal fédéral en français, le Tribunal fédéral rendra son arrêt dans cette langue.
2.
D'après l'art. 77 al. 1 let. a LTF, le recours en matière civile est recevable contre les sentences d'arbitrage international aux conditions fixées par les art. 190 à 192 LDIP. Il n'est pas contesté que le siège de l'arbitrage a été fixé à Genève et que le présent litige ressortit au domaine de l'arbitrage international (cf. art. 176 al. 1 LDIP), et partant au chapitre 12 de la LDIP.
Le recours en matière civile prévu à l'art. 77 al. 1 LTF n'a généralement qu'un caractère cassatoire (cf. l'art. 77 al. 2 LTF qui exclut l'application de l'art. 107 al. 2 LTF dans la mesure où cette dernière disposition permet au Tribunal fédéral de statuer sur le fond de l'affaire). Cependant, exception est faite à ce caractère-là lorsque le litige porte, comme en l'espèce, sur la compétence du Tribunal arbitral. En pareille hypothèse, le Tribunal fédéral, s'il admet le recours, peut constater lui-même la compétence ou l'incompétence du tribunal arbitral (ATF 136 III 605 consid. 3.3.4 p. 616). La conclusion par laquelle la recourante invite la Cour de céans à constater elle-même la compétence du Tribunal arbitral est, dès lors, recevable.
Sur le principe, rien ne s'oppose donc à ce que l'autorité de céans entre en matière. En particulier, la sentence entreprise est une sentence finale, le Tribunal arbitral ayant mis un terme à la procédure en se déclarant incompétent (cf. ATF 143 III 462 consid. 3.1).
3.
Dans un unique grief, la recourante invoque l'art. 190 al. 2 let. b LDIP, reprochant à la formation arbitrale de s'être déclarée incompétente pour statuer sur sa demande en dommages-intérêts pour violation du TBI.
3.1. Statuant sur sa compétence, le Tribunal arbitral s'est penché sur les objections ratione personaeet ratione materiae soulevées par l'intimée. Cette dernière estimait en effet, d'une part, que la détention par la recourante des actions de D.________ S.A. n'équivalait pas à un investissement protégé par le TBI, et d'autre part, que la recourante ne bénéficiait pas du statut d'investisseur au sens du TBI. Le Tribunal arbitral a estimé que ces deux objections étaient intrinsèquement liées, l'intimée niant en effet à la recourante le statut d'investisseur précisément en raison de l'absence d'investissement au sens du TBI. Se fondant sur les définitions données par le TBI des termes " investisseur " (" investor ", " inversor ") et " investissement " (" investment ", " inversión "), le Tribunal arbitral a jugé que la recourante et l'actif détenu par elle avaient prima facie les caractéristiques requises pour être considérés comme, respectivement, un investisseur et un investissement. La question décisive à son sens étant de savoir si la recourante avait effectué l'investissement en question (" The only issue that must be discussed to resolve Claimant's [sic] objection is whether it made the investment which it owns "; " Lo único que debe ser discutido para resolver la objeción planteada por la Demandante [sic] es si realizó la inversión de la que es propietaria "). Se référant à la lettre des art. I (2), III (1), IV (1) et V (1), le Tribunal arbitral a en effet estimé qu'un actif devait impérativement avoir été investi (" have been invested "; " haber sido invertido ") par une personne morale ou physique d'un État contractant dans le territoire de l'autre État contractant, le détenteur de l'actif devant ainsi avoir été le " sujet actif de l'acte d'investissement " (" the active subject in the act of investing"; " el sujeto activo de la acción de invertir "). La question de la qualité directe ou indirecte de l'investissement n'a pas été considérée comme déterminante par le Tribunal arbitral.
Afin de déterminer si la recourante avait effectué un acte d'investissement, le Tribunal arbitral s'est penché sur la façon dont elle avait obtenu les actions de D.________ S.A. détenues par elle. Il a retenu que E.________ et C.________, deux sociétés américaines, avaient investi au Venezuela à partir de 1990 et que début avril 2011, l'intégralité des actions de D.________ S.A. étaient détenues par C.________. Ce n'est que le 15 avril 2011 que la recourante a été constituée par un représentant de C.________ et que, dans le cadre de la création de la société, C.________ a effectué un apport en nature en transférant les actions qu'elle détenait dans D.________ S.A. Au regard de ces faits, le Tribunal arbitral a estimé qu'aucun transfert de valeur (" transfer of value ", " transferencia de valor ") n'avait été effectué entre la recourante et C.________ à titre de contre-prestation (" consideration ", " contraprestación ") pour l'obtention des actions de D.________ S.A. En particulier, l'obtention par C.________ d'actions de la recourante dans le cadre de la constitution de cette dernière ne saurait, de l'avis du Tribunal arbitral, être considérée comme une contre-prestation, au vu du fait que tant le capital que la prime d'émission des actions de la recourante ont été libérés par apport en nature et que sans le transfert par C.________ des actions de D.________ S.A., les actions de la recourante n'existeraient pas. Le Tribunal arbitral conclut qu'en l'absence de contre-prestation, la détention par la recourante de l'intégralité des actions de D.________ S.A. ne peut être qualifiée d'investissement au sens de l'art. I (2) du TBI. S'agissant d'éventuels investissements effectués par la recourante elle-même dans les actifs de D.________ S.A. allant au-delà de la simple détention des actions de cette dernière, le Tribunal arbitral a jugé que leur existence n'avait pas été démontrée.
3.2. La recourante estime que le Tribunal arbitral a introduit, à tort, plusieurs conditions à l'existence d'un investissement ne figurant pas à l'art. I (2) du TBI et a appliqué ces conditions de manière contraire à l'objet et au but du TBI. Selon elle, l'interprétation et l'application de l'art. I (2) par le Tribunal arbitral ne sont pas compatibles avec les exigences de l'art. 31 de la Convention de Vienne du 23 mai 1969 sur le droit des traités (RS 0.111; ci-après: CV). Elle estime tout d'abord que, contrairement à ce qu'a retenu le Tribunal arbitral, le sens ordinaire des...

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