Arrêt nº 2C 698/2011 de IIe Cour de Droit Public, 5 octobre 2012

ConférencierPublié
Date de Résolution 5 octobre 2012
SourceIIe Cour de Droit Public

Chapeau

138 I 435

38. Extrait de l'arrêt de la IIe Cour de droit public dans la cause A. et consorts contre Grand Conseil du canton de Vaud et Etat de Vaud (recours en matière de droit public)

2C_698/2011 du 5 octobre 2012

Faits à partir de page 436

BGE 138 I 435 S. 436

  1. Le 29 octobre 2010, la Conférence latine des chefs des départements de justice et police (ci-après: la Conférence latine) a adopté le Concordat latin sur la culture et le commerce du chanvre (ci-après: CChanvre ou "le Concordat latin"), lequel est entré en vigueur le 1er mars 2012 à la suite de l'adhésion des cantons de Fribourg, Vaud et Neuchâtel. Le Concordat latin dispose en particulier:

    "Art. 1 - But et objet:

    1. Le présent concordat a pour objet de fixer des règles communes sur la culture et le commerce du chanvre.

    2. Il a pour but de prévenir les violations du droit fédéral, notamment en matière de stupéfiants et en matière agricole.

    3. Demeurent réservées les dispositions du droit fédéral, notamment en matière de stupéfiants et en matière agricole. BGE 138 I 435 S. 437

    4. Sont aussi réservées les dispositions du droit fédéral ou cantonal en matière de procédure pénale. (...)

    Art. 3 - Produits d'usage courant non soumis au concordat:

    1. La Commission concordataire édicte une liste de produits d'usage courant non soumis au concordat, notamment ceux considérés comme des objets usuels ou des aliments par le droit fédéral. (...)

    Art. 4 - Définitions: a) Chanvre

    1. Par chanvre au sens du présent concordat, on entend la plante de l'espèce nommée cannabis (Cannabis sativa L.), ainsi que tous ses composés et ses dérivés, notamment les graines, les boutures, les plants, les feuilles, les inflorescences ou les huiles.

    Art. 5 - b) Commerce

    1. Fait le commerce du chanvre quiconque aliène, à titre gratuit ou onéreux, le chanvre ou ses produits dérivés.

    Art. 6 - c) Culture

    1. Fait la culture du chanvre quiconque soumet la plante sous toutes ses formes à un traitement favorisant l'épanouissement de celle-ci.

    Art. 7 - Obligation d'annonce:

    1. Quiconque pratique la culture du chanvre a l'obligation de l'annoncer à l'autorité compétente. (...)

    Art. 8 - Autorisation: a) Principe

    1. Quiconque fait le commerce du chanvre sur le territoire des cantons concordataires doit être titulaire d'une autorisation. (...)

    Art. 15 - Mesures administratives:

    1. L'autorité qui a accordé une autorisation doit la retirer lorsque les conditions prévues par le présent concordat ne sont plus remplies, lorsqu'une gestion commerciale irréprochable n'est plus garantie, ou lorsque le titulaire ou son personnel contrevient gravement ou à de réitérées reprises à la législation. (...)

    3. Dans les cas de moindre gravité, l'autorité peut également prononcer un avertissement ou une suspension de l'autorisation. (...)

    Art. 17 - Contrôles et sanctions administratives:

    1. Les autorités compétentes au sens du présent concordat peuvent en tout temps, dans le cadre de leurs attributions respectives et au besoin par la contrainte, procéder au contrôle des infrastructures, des cultures ou des locaux commerciaux et au contrôle des personnes qui s'y trouvent, dans le but de vérifier qu'aucune activité illicite ne s'y exerce au sens du présent concordat.

    2. Ce droit d'inspection s'étend aux appartements particuliers de ceux qui desservent les infrastructures ou qui y logent, lorsque ces appartements sont attenants à l'infrastructure ou la constituent.

    3. Les autorités compétentes peuvent en tout temps procéder à des prélèvements ou à des analyses. (...) BGE 138 I 435 S. 438

    Art. 18 - Aliénation et acquisition:

    1. L'aliénation du chanvre doit être consignée dans un contrat écrit. (...)

    Art. 21 - Dispositions pénales:

    1. Est passible de l'amende ou du travail d'intérêt général quiconque:

    1. exploite un commerce au sens de la présente loi sans respecter les conditions concordataires et réglementaires;

    2. contrevient aux articles 7, 8, 9, 11, 13, 14, 16 et 18 du présent concordat;

    3. contrevient aux dispositions cantonales d'application du présent concordat ou aux directives de la Commission concordataire.

    2. Les dispositions du Code pénal suisse sur les contraventions s'appliquent. (...)

    Art. 28 - Dispositions finale et transitoire:

    1. Le présent concordat entre en vigueur lorsque trois cantons au moins y ont adhéré.

    2. Les personnes soumises aux dispositions du présent concordat ont un délai de six mois dès son entrée en vigueur pour s'y conformer."

  2. En date du 7 juin 2011, le Grand Conseil du canton de Vaud a adopté le décret autorisant le Conseil d'Etat à adhérer au Concordat latin (ci-après: le décret d'approbation). Ce décret a été publié dans la Feuille des avis officiels du canton de Vaud du 21 juin 2011 (FAO n° 49, p. 11), qui reproduisait en outre l'intégralité du texte du Concordat latin; il était soumis au référendum facultatif, le délai pour la récolte des signatures échéant au 31 juillet 2011. Le référendum n'ayant pas été requis, le Conseil d'Etat vaudois, par arrêté du 17 août 2011 publié dans la Feuille des avis officiels du 23 août 2011 (FAO n° 67, p. 10), a mis en vigueur le décret d'approbation avec effet au 1er août 2011.

  3. A., B., C., D. et E., tous domiciliés dans le canton de Vaud, exploitent ou ont exploité des entreprises sises sur le territoire du canton de Vaud actives dans le commerce d'articles se rapportant au chanvre.

  4. Le 7 septembre 2011, A., B., C., D. et E. ont déposé un recours en matière de droit public au Tribunal fédéral à l'encontre du Concordat latin du 29 octobre 2010. Ils concluent, avec suite de frais et dépens, à l'annulation du CChanvre et se plaignent en particulier d'une violation des art. 27 et 49 Cst.

  5. Parallèlement au recours déposé auprès du Tribunal fédéral, les recourants ont, le 3 novembre 2011, saisi la Cour constitutionnelle du Tribunal cantonal du canton de Vaud (ci-après: le Tribunal BGE 138 I 435 S. 439

    cantonal vaudois) d'une requête dirigée contre le décret d'approbation du 7 juin 2011, en concluant à l'annulation du Concordat latin. Par arrêt du 14 février 2012, le Tribunal cantonal vaudois s'est déclaré par principe compétent pour procéder à un contrôle abstrait d'une convention intercantonale "par le biais du contrôle sur le décret d'approbation"; en raison de la tardiveté de la requête sur le plan de la procédure cantonale, le Tribunal cantonal vaudois a cependant déclaré celle-ci irrecevable.

  6. Après avoir délibéré en séance publique du 5 octobre 2012 sur le recours du 7 septembre 2011, le Tribunal fédéral a admis celui-ci et a annulé le Concordat latin.

    (résumé)

    Considérants

    Extrait des considérants:

    1. Le Tribunal fédéral examine d'office sa compétence (art. 29 al. 1 LTF) et contrôle librement la recevabilité des recours qui lui sont soumis (ATF 137 III 417 consid. 1 p. 417; ATF 136 II 101 consid. 1 p. 103).

    1.1 Le Concordat latin, dont l'annulation intégrale a été requise par les recourants, est une convention intercantonale au sens de l'art. 48 al. 1 Cst. A condition de créer de manière immédiate des droits et des obligations pour les particuliers ou, de manière générale, de contenir des dispositions renfermant des règles de droit directement applicables (pour cette notion, cf. ATF 136 I 290 consid. 2.3.1 p. 293; ATF 126 I 240 consid. 2b; ATF 119 V 171 consid. 4b p. 177 s.), les conventions intercantonales dites normatives sont assimilées à des "actes normatifs cantonaux" selon l'art. 82 let. b LTF et sont partant attaquables comme tels devant le Tribunal fédéral (cf. ATF 137 I 31 consid. 1.3 p. 39; AEMISEGGER/SCHERRER REBER, in Basler Kommentar, Bundesgerichtsgesetz, 2e éd. 2011, n° 44 ad art. 82 LTF p. 983; AUER/MALINVERNI/HOTTELIER, Droit constitutionnel suisse, vol. I, 2e éd. 2006, p. 573 n. 1624 ss; YVES DONZALLAZ, Loi sur le Tribunal fédéral, Commentaire, 2008, n° 2703 ad art. 82 LTF p. 1031; HANSJÖRG SEILER, in Bundesgerichtsgesetz [BGG], 2007, n° 43 ad art. 82 LTF p. 304).

    En l'occurrence, non seulement le Concordat latin impose des obligations et confère des droits aux autorités (cf. par exemple l'art. 20 al. 1 CChanvre), mais il contient aussi de nombreuses dispositions, singulièrement les art. 7 ss CChanvre, qui sont dans leur ensemble suffisamment déterminées et claires par leur contenu pour constituer le fondement d'une décision à l'égard des individus. Il possède en conséquence un caractère "self-executing". Partant, le Concordat BGE 138 I 435 S. 440

    latin fait partie des "actes normatifs cantonaux" attaquables devant le Tribunal fédéral, au sens de l'art. 82 let. b LTF, peu importe qu'il nécessite l'adhésion d'au moins trois cantons pour pouvoir entrer en vigueur (art. 28 al. 1 CChanvre).

    1.2 Par ailleurs, la liste d'exceptions de l'art. 83 LTF ne s'applique pas aux actes normatifs (arrêts 2C_727/2011 du 19 avril 2012 consid. 1.1, non publié in ATF 138 II 191; 2C_230/2010 du 12 avril 2011 consid. 1.1, non publié in ATF 137 I 167). De plus, et contrairement à ce qui prévalait sous l'empire de l'ancienne Constitution fédérale (art. 7 et 84 ch. 5 aCst.), les conventions intercantonales, sous réserve de la procédure d'approbation parlementaire consécutive à une réclamation (art. 172 al. 3 Cst.; cf. AEMISEGGER/SCHERRER REBER, op. cit., n° 44 ad art. 82 LTF p. 983; ALAIN WURZBURGER, in Commentaire de la LTF, 2009, n° 95 ad art. 82 LTF p. 731), ne doivent pas être soumises à l'approbation de la Confédération, mais sont uniquement portées à sa connaissance (art. 48 al. 3, 2e phr. Cst.; cf. FF 2010 7615, annonçant l'adoption du CChanvre, conformément à l'art. 48 al. 3 in fine Cst.; RHINOW/SCHEFER, Schweizerisches Verfassungsrecht, 2e éd. 2009, p. 184 n. 904); or, cette dernière procédure ne préjuge en rien du droit de former un recours abstrait contre une convention intercantonale (cf. ATF 137 I 31 consid. 1.3 p. 39).

    1.3 Dans leurs déterminations du 25 janvier ainsi que des 7 et 14 mars 2012, le Grand Conseil et le Conseil d'Etat vaudois ont soutenu que le recours normatif...

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