Arrêt nº 1C 374/2009 de Ire Cour de Droit Public, 12 janvier 2010

Date de Résolution12 janvier 2010
SourceIre Cour de Droit Public

Text Publié

Chapeau

136 IV 4

  1. Extrait de l'arrêt de la Ire Cour de droit public dans la cause Fondation Brouilly contre Office fédéral de la justice (recours en matière de droit public)

    1C_374/2009 du 12 janvier 2010

    Faits à partir de page 5

    BGE 136 IV 4 S. 5

    1. Le 4 avril 1986, (...) la République d'Haïti a présenté à la Suisse une demande d'entraide judiciaire, dans le cadre d'une procédure pénale dirigée contre Jean-Claude Duvalier (ex-président de la République) et les membres de sa famille. Durant sa présidence, de 1971 jusqu'au 7 février 1986, Jean-Claude Duvalier et ses proches auraient détourné environ 900 millions de dollars au préjudice de l'Etat haïtien. La Confédération suisse était priée de prendre les mesures nécessaires pour geler les fonds de la famille Duvalier dans l'attente de l'issue de la procédure. En exécution de cette requête, divers comptes ont été saisis dans des établissements de Zurich, Vaud et Genève, notamment un compte (...) détenu par la Fondation Brouilly (fondation de droit liechtensteinois, ci-après: la fondation), dont l'ayant droit était (jusqu'à son décès en 1997) Simone Ovide Duvalier, mère de Jean-Claude Duvalier. Les avoirs de la fondation s'élevaient alors à 2,4 millions d'USD. (...)

      Par ordonnance du 2 septembre 1986, le Juge d'instruction du canton de Genève (...) est entré en matière. Le 2 août 1988, il ordonna la transmission de documents bancaires. Cette décision a été confirmée en substance par la Chambre d'accusation genevoise, puis par le Tribunal fédéral (arrêt 1A.58/1989 du 19 septembre 1989). L'autorité requérante devrait toutefois donner des assurances spécifiques et formelles quant à la régularité de la procédure pénale et à l'interdiction des tribunaux d'exception. (...)

      Le Juge d'instruction a rendu une nouvelle ordonnance le 25 juillet 1991. Celle-ci a toutefois été annulée par la Chambre d'accusation. Au mois de septembre 1991, le Président Aristide, successeur de Duvalier, avait été destitué. Les garanties données le 27 août 1990 n'étaient donc plus d'actualité; de nouvelles garanties devaient être demandées de la part des autorités en place. BGE 136 IV 4 S. 6

      De nouvelles garanties ayant été données le 27 novembre 1996, l'Office fédéral de la justice (OFJ) s'est prononcé le 15 mai 2002 sur leur validité, conformément à l'art. 80p EIMP. L'engagement ne pouvait être considéré comme suffisant, compte tenu de l'instabilité des institutions en Haïti, (...) des dénonciations faites par les organismes de protection des droits de l'homme et de l'absence de progrès dans le domaine des droits de l'homme depuis le début de la procédure d'entraide, seize ans auparavant. Les contacts établis avec l'Etat requérant n'avaient pas permis de constater une réelle volonté de mener à chef la procédure dirigée contre Jean-Claude Duvalier. On pouvait même douter de l'existence d'une telle procédure. Incidemment, l'OFJ a également constaté que les faits reprochés à Jean-Claude Duvalier remontaient à plus de quinze ans, de sorte que la prescription absolue était atteinte en droit suisse.

    2. Le 14 juin 2002, le Conseil fédéral a ordonné le blocage, pour trois ans, des avoirs en Suisse de Jean-Claude Duvalier et de son entourage, et a chargé le Département fédéral des affaires étrangères d'assister les parties en vue de rechercher, dans un cadre approprié, une issue aussi satisfaisante que possible. Cette ordonnance se fondait sur l'art. 184 al. 3 Cst. Elle a été prolongée pour deux ans le 3 juin 2005, puis pour un an le 22 août 2007.

      Le 28 janvier 2008, le Juge d'instruction genevois a définitivement déclaré irrecevable la demande d'entraide judiciaire formée en 1986, en raison de la prescription. (...) Les avoirs restaient toujours bloqués, jusqu'au 31 août 2008, en vertu de l'ordonnance du Conseil fédéral.

    3. Le 23 mai 2008, la République d'Haïti, représentée par un avocat genevois, a présenté une demande de réexamen des précédentes décisions. Elle exposait que Jean-Claude Duvalier et ses complices faisaient l'objet d'une procédure pénale en Haïti pour des crimes contre l'humanité, des crimes financiers et des infractions de corruption et de détournements de fonds au préjudice de l'Etat. Etaient produits divers documents relatifs à la poursuite pénale. (...) Les détournements au préjudice de l'Etat avaient été accompagnés de crimes contre l'humanité (exécutions judiciaires et disparitions forcées des opposants du régime) destinés à maintenir l'organisation du clan Duvalier. (...)

      Le 27 juin 2008, l'OFJ a considéré que les nouveaux éléments produits justifiaient un réexamen. La situation en Haïti s'était BGE 136 IV 4 S. 7

      considérablement améliorée grâce aux mesures prises par le Président Préval depuis 2006. L'Etat requérant avait démontré l'existence d'une procédure pénale et la volonté de la mener à son terme. Les faits poursuivis pouvaient relever, en droit suisse, de l'organisation criminelle. (...) Les comptes et valeurs en mains de la famille Duvalier (notamment le compte de la fondation) ont été à nouveau bloqués, et leurs détenteurs étaient invités à en prouver la provenance licite. (...)

      Par décision du 11 février 2009, l'OFJ a admis la demande d'entraide (...) et ordonné notamment la remise à la République d'Haïti des avoirs détenus par la Fondation Brouilly, soit une somme d'environ 4,6 millions d'USD. La banque était invitée à transférer les fonds sur un compte que l'OFJ désignerait ultérieurement. Ceux-ci devraient être utilisés de façon transparente au bénéfice de la population haïtienne, par le biais de projets humanitaires ou sociaux. Le Département fédéral de justice et police veillerait au suivi de ces projets. Reprenant les motifs de sa décision d'entrée en matière, l'OFJ a en outre considéré que la prescription devait s'examiner au regard du seul droit de l'Etat requérant. (...) Sur le vu des faits décrits, l'on pouvait admettre que Simone Ovide Duvalier avait au moins apporté son soutien à l'organisation dirigée par son mari, puis par son fils. La fondation n'avait pas réussi à renverser la présomption de provenance criminelle des fonds.

      Par arrêt du 12 août 2009, la IIe Cour des plaintes du Tribunal pénal fédéral (TPF) (...) a rejeté le recours formé par la fondation. (...) Jean-Claude Duvalier aurait retiré de ses agissements une fortune estimée entre 400 et 900 millions de dollars. La structure hiérarchique, le but criminel et le climat de terreur mis en place correspondaient en droit suisse à la notion d'organisation criminelle. (...) La qualification d'organisation criminelle permettait un renversement du fardeau de la preuve, s'agissant de l'origine délictueuse des fonds. Simone Duvalier ayant fait partie de l'organisation criminelle dirigée successivement par son mari et son fils, cette présomption d'appartenance n'avait pas été renversée. S'agissant de la prescription, la Cour des plaintes a considéré que la mesure de blocage s'était poursuivie sans interruption depuis avril 1986 et que, selon l'art. 33a OEIMP, la durée de la saisie de valeurs n'était limitée que par la prescription selon le droit étranger; la prescription selon le droit suisse ne faisait donc pas obstacle à l'octroi de l'entraide. En tant que personne morale, la recourante n'avait pas qualité pour se plaindre des défauts de la procédure à l'étranger. (...) BGE 136 IV 4 S. 8

    4. Par acte du 24 août 2009, la Fondation Brouilly forme un recours en matière de droit public. Elle conclut à l'annulation de l'arrêt de la Cour des plaintes et de la décision de l'OFJ du 11 février 2009, et demande la levée de la saisie de son compte. (...)

      Le Tribunal fédéral a admis le recours et invité l'OFJ à lever la saisie des fonds.

      (extrait)

      Extrait des considérants:

      Extrait des considérants:

  2. Sur le fond, la recourante conteste l'existence d'une organisation criminelle constituée par le clan Duvalier. Elle estime que les documents mentionnés par le TPF pour retenir une telle qualification juridique ne sauraient constituer des preuves judiciaires suffisantes au regard de la présomption d'innocence (art. 6 par. 1 CEDH et art. 32 al. 1 Cst.).

    4.1 La recourante perd de vue que l'autorité suisse saisie d'une demande d'entraide judiciaire (que celle-ci tende à l'extradition d'une personne, à la transmission de renseignements ou à la remise d'objets ou de valeurs) n'a pas à se prononcer sur la réalité des faits évoqués dans la demande; elle ne peut que déterminer si, tels qu'ils sont présentés, ces faits constituent une infraction (ATF 133 IV 76 consid. 2.2; ATF 130 II 217 consid. 4.1). Les indications fournies à ce titre doivent simplement suffire pour vérifier que la demande n'est pas d'emblée inadmissible (ATF 116 Ib 96 consid. 3a p. 101; ATF 115 Ib 68 consid. 3b/aa p. 77). Pour sa part, l'autorité requérante n'a pas à fournir de preuves à l'appui de ses accusations. Il suffit qu'elle présente un exposé suffisamment compréhensible et qui ne soit pas entaché d'invraisemblances, d'erreurs ou de lacunes manifestes (ATF 118 Ib 111 consid. 5b p. 121/122; ATF 117 Ib 64 consid. 5c p. 88 et les arrêts cités).

    4.2 En l'occurrence, les demandes d'entraide judiciaire présentées en 1986, puis le 23 mai 2008 par l'avocat de l'Etat requérant, satisfont à ces exigences d'allégation. La seconde demande expose en particulier dans quel contexte François Duvalier, puis son fils Jean-Claude Duvalier, ont organisé le pillage systématique de l'Etat haïtien par diverses méthodes de prélèvement (sur des comptes et organismes d'Etat "non fiscaux", oeuvres sociales fictives, prélèvement sur certains salaires), puis de conversion et d'exportation des fonds. Ces exactions avaient lieu dans un climat de terreur, de disparitions forcées et d'exécutions extrajudiciaires. Entre 1957 et 1986, le régime BGE 136 IV 4 S. 9

    Duvalier aurait ainsi entraîné la mort de plusieurs dizaines de milliers de personnes. L'autorité requérante expose que Simone Duvalier faisait partie des bénéficiaires des détournements. Ces...

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