Arrêt nº 4A 339/2009 de Ire Cour de Droit Civil, 17 novembre 2009

Date de Résolution17 novembre 2009
SourceIre Cour de Droit Civil

Text Publié

Chapeau

135 III 614

90. Extrait de l'arrêt de la Ire Cour de droit civil dans la cause Banque X. SA contre Fondation Y. (recours en matière civile)

4A_339/2009 du 17 novembre 2009

Regeste

Art. 18 LDIP, art. 335 al. 2 CC; droit international privé; fondation de famille dite d'entretien. La prohibition de la constitution de fidéicommis de famille, ancrée à l'art. 335 al. 2 CC, n'est pas une loi d'application immédiate au sens de l'art. 18 LDIP pouvant paralyser l'application d'une loi étrangère qui déclare licite, contrairement au droit suisse, la création de fondation de famille dite d'entretien (consid. 4).

Extrait des considérants: à partir de page 614

BGE 135 III 614 S. 614

Extrait des considérants:

4.

4.1

4.1.1 Le procès au fond ouvert par la demande du 18 mars 2008 présente un caractère international puisqu'il oppose une fondation de droit privé ayant son siège à Vaduz, capitale du Liechtenstein, à une banque sise à Genève, défenderesse, dont sont mises en cause BGE 135 III 614 S. 615

la responsabilité délictuelle du fait des agissements illicites d'un membre de sa direction et la responsabilité contractuelle du fait de la violation alléguée de contrats de dépôt et de mandat qui liaient la banque à la fondation.

La banque recourante a contesté la qualité pour ester en justice de la fondation intimée. C'est uniquement cette question, tranchée par la Cour de justice dans l'arrêt déféré, qui est soumise au Tribunal fédéral. Ce n'est donc pas le droit qui régit la responsabilité de la banque pour les actes illicites commis par un de ses organes ou auxiliaires qui doit être déterminé, pas plus que le droit qui gouverne les relations contractuelles internationales nouées entre les plaideurs. Il s'agit bien plutôt de dire quel est le droit qui est applicable au statut personnel de la fondation demanderesse en droit international privé. Dès l'instant où aucun traité international n'entre en ligne de compte à ce propos, cet examen se fera au regard des règles de conflit de la loi fédérale du 18 décembre 1987 sur le droit international privé (LDIP; RS 291) (cf. art. 1 al. 2 LDIP; ATF 133 III 323 consid. 2.1), en particulier à la lumière des art. 150 ss LDIP. En effet, l'art. 150 al. 1 LDIP englobe dans la notion de société, outre la "société de personne organisée", "tout patrimoine organisé", dont font partie notamment les fondations (VON PLANTA/EBERHARD, in Commentaire bâlois, Internationales Privatrecht, 2e éd. 2007, n° 10 ad art. 150 LDIP; BERNARD DUTOIT, Droit international privé suisse, 4e éd. 2005, n° 5 ad art. 150 LDIP).

4.1.2 Comme l'a précisé la jurisprudence dans un arrêt de principe (ATF 117 II 494 consid. 4b), la LDIP a consacré la théorie de l'incorporation. A teneur de l'art. 154 al. 1 LDIP, les sociétés sont régies par le droit en vertu duquel elles sont organisées si elles répondent aux conditions de publicité ou d'enregistrement prescrites par ce droit ou, dans le cas où ces prescriptions n'existent pas, si elles se sont organisées selon le droit de cet Etat. A supposer que la société ne remplisse pas les conditions précitées, elle sera régie par le droit de l'Etat dans lequel elle est administrée en fait (art. 154 al. 2 LDIP). Le droit désigné de la sorte est applicable à de larges domaines juridiques [cf. la liste exemplative de l'art. 155 let. a-i LDIP; ATF 128 III 346 consid. 3.1.3], sous réserve des art. 156 à 161 LDIP.

4.1.3 En l'espèce, il n'a jamais été contesté que la fondation intimée a été valablement constituée, le 4 mai 1987, selon les art. 552 ss de BGE 135 III 614 S. 616

la loi liechtensteinoise du 20 janvier 1926 sur les personnes et les sociétés (Personen- und Gesellschaftsrecht, PGR; Lilex 216.0).

En application de la norme de conflit ancrée à l'art. 154 al. 1 LDIP, dont il a été question ci-dessus, ladite fondation est en conséquence gouvernée par le droit du Liechtenstein d'après lequel elle s'est dûment organisée.

A teneur de l'art. 155 LDIP, hormis les rattachements spéciaux des art. 156 à 161 LDIP (qui ne jouent aucun rôle dans le cas présent), le droit applicable à l'intimée régit notamment la nature juridique de la société (let. a) - ainsi le point de savoir si elle possède la personnalité juridique (FRANK VISCHER, in Zürcher Kommentar zum IPRG, 2e éd. 2004, n° 2 ad art. 155 LDIP; BUCHER/BONOMI, Droit international privé, 2e éd. 2004, ch. 1177 p. 317) - et l'exercice des droits civils par la société (let. c).

L'art. 106 al. 1 PGR dispose ce qui suit:

"Die körperschaftlich organisierten Personenverbindungen (Körperschaften oder Korporationen) und die einem besonderen Zwecke gewidmeten und selbständigen Anstalten einschliesslich Stiftungen erlangen das Recht der Persönlichkeit durch die Eintragung in das Öffentlichkeitsregister (Inkorporierung), und zwar mangels abweichender Gesetzesvorschrift selbst dann, wenn die Voraussetzungen der Eintragung tatsächlich nicht vorhanden waren, vorbehältlich des Vernichtbarkeitsverfahrens".

Pour sa part, l'art. 552 § 1, 1, al. 1 PGR a le contenu suivant:

"Eine Stiftung im Sinne dieses Abschnittes ist ein rechtlich und wirtschaftlich verselbständigtes Zweckvermögen, welches als Verbandsperson (juristische Person) durch die einseitige Willenserklärung des Stifters errichtet wird. Der Stifter widmet das bestimmt bezeichnete Stiftungsvermögen und legt den unmittelbar nach aussen gerichteten, bestimmt bezeichneten Stiftungszweck sowie Begünstigte fest".

D'après le libellé de ces deux normes de droit étranger, qui ne peuvent être interprétées que sous l'angle restreint de l'arbitraire (cf. art. 96 let. b LTF a contrario), il n'est en tout cas pas indéfendable de reconnaître que le droit du Liechtenstein octroie aux fondations (Stiftungen) la personnalité juridique.

Quant à l'art. 109, III, al. 1 in initio PGR, il prescrit ce qui suit:

"Die Verbandspersonen (ou juristischen Personen, cf. titre de la "2. Abteilung" PGR) sind von Gesetzes wegen gleich natürlichen Personen aller Rechte [....] fähig, soweit diese Rechte oder Pflichten nicht die natürlichen Zustände oder Eigenschaften des Menschen, wie das BGE 135 III 614 S. 617

Geschlecht, das Alter oder die Verwandtschaft zur notwendigen Voraussetzung haben".

Il n'est assurément pas injustifié d'admettre que ce texte légal accorde les mêmes droits aux personnes juridiques que ceux appartenant aux personnes physiques, à l'exception de ceux qui sont inhérents à la personne humaine; on peut en inférer que les fondations ont l'exercice des droits civils en droit liechtensteinois.

4.2 Il résulte du rattachement principal au droit de l'incorporation adopté par l'art. 154 al. 1 LDIP que la fondation intimée, constituée conformément au droit du Liechtenstein et munie par ce droit de tous les attributs de la personnalité juridique, a en principe automatiquement l'exercice des droits civils en Suisse, et, partant, la capacité d'ester en justice (cf. VON PLANTA/EBERHARD, op. cit., n° 4 ad art. 154 LDIP; DUTOIT, op. cit, n° 5bis ad art. 154 LDIP).

Toutefois, les rattachements opérés en vertu de la LDIP sont soumis aux restrictions instituées par la partie générale de la loi (art. 15 et 17 à 19 LDIP).

Ainsi, la clause d'exception de l'art. 15 al. 1 LDIP, qui n'est pas applicable en cas d'élection de droit (art. 15 al. 2 LDIP), écarte le droit étranger désigné par la LDIP si, au regard de l'ensemble des circonstances, il est manifeste que la cause n'a qu'un lien très lâche avec ce droit et qu'elle se trouve dans une relation beaucoup plus étroite avec un autre droit (cf. ATF 121 III 246 consid. 3c).

Le renvoi au droit étranger ne doit pas non plus être contraire à l'art. 17 LDIP, qui se rapporte à la réserve dite négative de l'ordre public suisse; cette disposition permet au juge de ne pas faire appel au droit (matériel) étranger, si cela a pour résultat de heurter de façon insupportable les moeurs et le sentiment du droit suisse (cf. ATF 128 III 201 consid. 1b; ATF 125 III 443 consid. 3d p. 447).

Le droit étranger indiqué par la règle de conflit du for peut être également mis à l'écart lorsque des lois suisses impératives dites d'application immédiate doivent être prises en compte (art. 18 LDIP; aspect dit positif de l'ordre public suisse). Les lois d'application immédiate telles que l'entend cette norme sont, en règle générale, des dispositions impératives qui répondent le plus souvent à des intérêts essentiels d'ordre social, politique ou économique (cf. ATF 128 III 201 consid. 1b et les références). Du moment que, dans un Etat de droit comme l'est la Confédération suisse (cf. art. 5 Cst.), il est rarissime qu'une norme ne puisse trouver un fondement, même BGE 135 III 614 S. 618

indirect, qui ne soit pas en phase avec la défense d'intérêts sociaux, politiques ou économiques, les lois d'application immédiate doivent correspondre aux seules valeurs fondamentales de l'ordre juridiques (cf. FRANÇOIS KNOEPFLER ET AL., Droit international privé suisse, 3e éd. 2005, ch. 376c, p. 189/190). Il est de jurisprudence que la réserve de l'ordre public, dans ses conceptions tant positive que négative, doit être admise avec une retenue particulière lorsque la cause à juger ne présente pratiquement pas de lien avec la Suisse (exigence dite de la "Binnenbeziehung"; ATF 128 III 201 consid. 1b p. 205 et les références doctrinales).

4.3 Il sied conséquemment, à ce stade du raisonnement, d'analyser si l'interdiction de la constitution de fidéicommis de famille posée par l'art. 335 al. 2 CC appartient aux dispositions impératives du droit suisse au sens de l'art. 18 LDIP, comme le prétend la recourante. Dans l'affirmative, la règle de conflit de l'art. 154 al. 1 LDIP serait alors mise en échec.

4.3.1 D'après l'art. 335 al. 2 CC, la constitution de fidéicommis de famille est prohibée.

Par fidéicommis de famille dans le sens de cette disposition, il faut entendre un patrimoine spécial (Sondervermögen), lié à une certaine famille de manière inaliénable par une disposition de droit privé, dont les membres de...

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