Arrêt nº 4A 552/2008 de Ire Cour de Droit Civil, 12 mars 2009

Date de Résolution12 mars 2009
SourceIre Cour de Droit Civil

Text Publié

Chapeau

135 III 349

52. Extrait de l'arrêt de la Ire Cour de droit civil dans la cause X. contre Y. SA (recours en matière civile)

4A_552/2008 du 12 mars 2009

Faits à partir de page 350

BGE 135 III 349 S. 350

A.

A.a Par contrat de travail du 10 septembre 2005, Y. SA, exploitante du café V. à N., a engagé X. en qualité de sommelière pour un salaire mensuel de 3'150 fr. brut, respectivement de 2'811 fr. net. Le contrat stipulait un délai de congé d'un mois.

Le 1er janvier 2006, l'exploitation du V. a été reprise par A., sans que l'employée n'y fasse opposition. Le 15 du même mois, B. était engagée par le nouvel exploitant pour le 1er mars suivant, dans le but de remplacer X. Celle-ci a été licenciée le 24 janvier 2006 pour le 28 février 2006 par Y. SA, en raison de la remise de l'exploitation du café. Cette société confirmait, par courrier du 14 février BGE 135 III 349 S. 351

2006, que le contrat de travail ne pouvait être prolongé, l'activité commerciale prenant fin pour des raisons économiques.

A.b Agissant pour le compte de X., le syndicat Unia a, par lettre du 28 mars 2006, contesté le licenciement qu'il qualifiait de nul; il faisait valoir le fait que l'employée était enceinte au moment du licenciement. Le 3 avril 2006, Y. SA a répondu au syndicat que la grossesse de l'employée ne lui a jamais été annoncée, tout en faisant valoir son droit au licenciement immédiat pour faute grave.

B.

B.a Le 28 juin 2006, X. a saisi le Tribunal de prud'hommes de l'arrondissement de l'Est vaudois, concluant au paiement par Y. SA de la somme brute de 19'313 fr. 15 relative aux salaires des mois de mars à juin 2006 et au treizième salaire jusqu'au 31 décembre 2006, ainsi qu'à la somme nette de 8'315 fr. 30 correspondant au montant versé par l'assurance maternité. A l'appui de sa requête, la demanderesse indiquait être en congé maladie depuis le 10 mai 2006.

Le 3 août 2006, Unia Caisse de chômage a déclaré intervenir dans la procédure.

Le défendeur a conclu au rejet des conclusions de la demanderesse et du tiers intervenant.

En audience du 7 mai 2008, la demanderesse a déclaré ne pas avoir d'autres prétentions que le versement du salaire contractuel jusqu'au terme du contrat de travail, soit le 31 décembre 2006.

B.b Par jugement du 16 mai 2008, le Tribunal des prud'hommes a rejeté les conclusions de la demanderesse. Les premiers juges ont considéré l'annonce de la grossesse, faite le 28 mars 2006, comme étant largement tardive et contraire aux règles de la bonne foi; en taisant sa grossesse, la demanderesse est présumée avoir accepté son congé, qui a valablement pris ses effets au 28 février 2006. Les magistrats ont donc nié toute obligation de l'employeur de verser un salaire à la demanderesse pour la période ultérieure à la fin des rapports de travail.

B.c Statuant par arrêt du 17 septembre 2008, la Chambre des recours du Tribunal cantonal vaudois a confirmé le jugement attaqué.

  1. Agissant par la voie du recours en matière civile, la demanderesse invite le Tribunal fédéral à réformer le jugement entrepris en ce sens que les conclusions prises en première instance cantonale, par 19'313 fr.15 bruts, lui soient allouées. BGE 135 III 349 S. 352

La défenderesse conclut au rejet du recours.

Le Tribunal fédéral a admis le recours et renvoyé la cause à l'autorité cantonale.

Extrait des considérants:

Extrait des considérants:

2. Aux termes de l'art. 336c al. 1 let. c CO, l'employeur ne peut pas, après le temps d'essai, résilier le contrat pendant la grossesse et au cours des seize semaines qui suivent l'accouchement. Selon l'alinéa 2 de cette disposition, le congé donné pendant une des périodes prévues à l'alinéa précédent est nul.

La recourante fait grief à la cour cantonale d'avoir violé l'art. 336c al. 1 let. b (recte: c) CO et d'avoir à tort retenu la commission d'un abus de droit au sens de l'art. 2 CC de la part de la recourante. En substance, elle reproche aux magistrats cantonaux d'avoir considéré que l'annonce de la grossesse faite le 28 mars 2006, soit un mois après la fin du délai de résiliation et plus de deux mois après la notification du licenciement, était tardive et qu'elle avait pour conséquence d'entraîner la perte du droit à la protection de l'art. 336c al. 1 let. c CO.

2.1 La protection accordée par la norme précitée se rapporte à l'état de grossesse de l'employée, la période d'interdiction de licencier s'étendant pendant toute la durée de la grossesse et au cours des seize semaines suivant l'accouchement (Message du 9 mai 1984 concernant l'initiative populaire "pour la protection des travailleurs contre les licenciements dans le droit du contrat de travail" et la révision des dispositions sur la résiliation du contrat de travail dans le code des obligations, FF 1984 II 630 s. ch. 620.9). Le texte de la loi ne subordonne pas la protection contre le licenciement à l'annonce de l'état de grossesse. A cet égard, aucune mention n'est faite d'un quelconque délai pour faire valoir le droit à la protection; si cette question a été débattue par les parlementaires fédéraux, ceux-ci ont refusé d'introduire un tel délai dans la loi (BO 1985 CN 1142 ss). Admettre le contraire irait à l'encontre de la volonté du législateur.

La situation est ainsi à distinguer de celle qui prévaut en France et en Allemagne notamment, où le législateur a expressément prévu, en cas de licenciement par l'employeur ignorant la grossesse, un délai dans lequel la travailleuse doit faire l'annonce de son état de grossesse (Art. L-122-25-2 du Code du travail français; cf. CHRISTOPHE RADÉ, Code du travail annoté, 68e éd. 2006, n° 11 ad art. BGE 135 III 349 S. 353

L. 122.25.2; art. 9 de la loi allemande sur la protection de la maternité [Mutterschutzgesetz; MuSchG]).

2.2 La question présentement litigieuse n'a pas été abordée par le Tribunal fédéral dans l'arrêt 4C.259/2003 du 2 avril 2004, contrairement à ce qui est indiqué au consid. 4b du jugement entrepris.

Dans cet arrêt, une secrétaire, licenciée le 6 mars 2001 pour la fin mai 2001 et libérée de l'obligation de travailler, s'est trouvée en incapacité de travailler du 20 mai au 23 juin 2001; une dizaine de jours après avoir subi une opération, le 21 mai 2001, elle apprenait qu'elle était enceinte de six semaines environ; l'annonce à l'employeur de cet état de grossesse a eu lieu le 13 septembre 2001, soit deux mois et demi après la fin de l'incapacité de travail et plus de trois mois après la connaissance de la grossesse. La question soumise au Tribunal fédéral était celle de savoir si l'employeur devait s'acquitter du salaire réclamé par l'employée pour la période - antérieure à l'annonce de la grossesse - de juillet à la mi-septembre. Le litige a été tranché sous l'angle de la demeure de l'employeur, qui a été niée, du fait que, durant la période litigieuse, l'employée n'était pas apte à exécuter sa prestation de travail comme convenu. Dans ce contexte bien précis, il a été observé que le grief pouvait être adressé à l'employée de n'avoir pas annoncé rapidement sa grossesse. En effet, si tel avait été le cas, l'employeur aurait pu mettre en oeuvre l'assurance perte de gain. Cela étant, il ne pouvait être reproché à l'employeur de n'avoir pas versé le salaire pour la période en question sur la base de l'art. 324 al. 1 CO. Le Tribunal fédéral n'a toutefois pas jugé que l'annonce faite plus de trois mois après la connaissance de la grossesse avait pour effet de valider le licenciement, puisqu'il ne s'est pas prononcé sur la question.

2.3 La doctrine est partagée sur le sujet.

La doctrine majoritaire est d'avis que l'employée n'a pas d'obligation d'informer l'employeur de sa grossesse après avoir reçu le licenciement et que la période de protection prévue par l'art. 336c CO court même si l'employée tait cet événement à l'employeur (dans ce sens, CHRISTIANE BRUNNER ET AL., Commentaire du contrat de travail, 3e éd. 2004, n° 9 ad art. 336c CO; MARIANNE FAVRE MOREILLON, Droit du travail, 2e éd. 2006, p. 95; STREIFF/VON KAENEL, in Arbeitsvertrag, 6e éd. 2006, n° 9 ad art. 336c CO; ROLF A. TOBLER ET AL., in Arbeitsrecht, 2006, n° 1.13 ad art. 336c CO; ADRIAN STAEHELIN, in Zürcher Kommentar, 3e éd. 1996, n° 17 ad art. 336c CO;BGE 135 III 349 S. 354

MANFRED REHBINDER, in Berner Kommentar, 2e éd. 1992, n° 6 ad art. 336c CO; HANS-PETER EGLI, Der zeitliche Kündigungsschutz, Mitteilungen des Instituts für Schweizerisches Arbeitsrecht [ArbR] 1998 p. 128). La thèse majoritaire se fonde sur la volonté du législateur de ne pas introduire un délai pour contester le congé (BRUNNER ET AL., op. cit., n° 9 ad art. 336c CO; STAEHELIN, op. cit., n° 17 ad art. 336c CO), ainsi que sur le but social de l'art. 336c al. 1 let. c CO (TOBLER ET AL., op. cit., n° 1.13 ad art. 336c CO; REHBINDER, op. cit., n° 4 ad art. 336c CO; FAVRE MOREILLON, op. cit., p. 95; cf. également FF 1984 II 603 ch. 51; DENIS HUMBERT, Der neue Kündigungsschutz im Arbeitsrecht, 1991, p. 133 s.).

Pour RÉMY WYLER, les règles de la bonne foi imposent à la travailleuse d'informer l'employeur de sa grossesse immédiatement après avoir reçu la notification de la résiliation ou dès la connaissance de la grossesse, si elle intervient postérieurement; à défaut, la travailleuse est présumée avoir renoncé à se prévaloir de la protection et sera forclose dans ses droits. Cet auteur précise toutefois que la notion d'immédiateté...

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