Arrêt de Tribunal Fédéral, 16 mars 1965

ConférencierPublié
Date de Résolution16 mars 1965

Chapeau

91 II 25

  1. Arrêt de la Ie Cour civile du 16 mars 1965 dans la cause Alex Martin SA contre Association suisse des fabricants de cigarettes.

    Faits à partir de page 26

    BGE 91 II 25 S. 26

    A.- Au niveau de la production, le commerce des cigarettes indigènes est dominé par l'Association suisse des fabricants de cigarettes (en abrégé ASFC). Les grossistes spécialistes de laBGE 91 II 25 S. 27

    branche du tabac sont groupés en une autre association. Ils vendent, outre des cigarettes, des cigares et du tabac pour la pipe. En dehors de l'association des grossistes, d'autres organismes occupent une place dans le commerce en gros des cigarettes. Ce sont l'Union suisse des coopératives de consommation, les centrales des sociétés d'achat et certains détaillants spécialistes.

    En 1956, les groupements de l'industrie et du commerce des cigarettes demandèrent à l'Institut d'organisation industrielle de l'Ecole polytechnique fédérale de leur présenter un programme de réorganisation de la distribution. Ledit institut déposa le 28 février 1957 un rapport dans lequel il montre que la distribution était irrationnelle. La marge commerciale - gros et détail - était plus grande en Suisse qu'en Allemagne, en Hollande et en Belgique, trois pays où le marché est également libre. Les frais de distribution étaient anormalement élevés, parce que fabriques, grossistes et magasins spécialisés se concurrençaient pour livrer aux détaillants. Ceux-ci recevaient des visites de voyageurs de commerce selon une fréquence hors de proportion avec leurs besoins. Ils obtenaient des rabais ou des remises occultes de la part des grossistes, qui se faisaient une concurrence intense. Du moment que le prix de vente au détail est obligatoire et qu'il doit être indiqué sur l'emballage (art. 87 et 94 de l'ordonnance du Conseil fédéral du 30 décembre 1947 réglant l'imposition du tabac), les détaillants profitaient seuls de cette concurrence. Ils jouissaient de la même marge de rabais, quelle que fût l'importance de leur commande. Il en résultait un émiettement des commandes entre les nombreux voyageurs. Chaque facture comprenait un nombre d'articles très grand pour un montant très faible. Cela provoquait un gaspillage des frais de distribution.

    Pour remédier à la situation, l'institut proposait diverses mesures de rationalisation, notamment une répartition de la distribution au stade du commerce de gros, une réduction des marges des grossistes, des remises progressives aux détaillants, selon l'importance de leur commandes, la création d'un pool d'une durée provisoire de cinq ans pour faciliter la transition et stabiliser dans une certaine mesure les positions du marché.

    B.- En 1958, l'ASFC et l'Association des grossistes spécialistes de la branche du tabac sont convenues d'arrêter une organisation nouvelle du marché de la cigarette, qui est entréeBGE 91 II 25 S. 28

    en vigueur entre le 1er août et le 1er octobre 1958. Elles n'ont pas signé un contrat écrit, mais se sont entendues pour adopter des accords et règlements internes: convention de l'ASFC, règlement d'exécution de cette convention, règlement du commerce de gros de la branche du tabac, règlement de la caisse de compensation du chiffre d'affaires des grossistes de la branche du tabac.

    Reprenant les principales suggestions de l'institut d'organisation industrielle, la nouvelle organisation comprend, en bref, les mesures décrites ci-après.

    1. La clientèle a été répartie entre les fabricants et les grossistes. Les fabricants ne livrent plus qu'aux grossistes, aux centrales des sociétés d'achat et aux détaillants spécialisés, définis désormais selon des critères précis arrêtés par l'ASFC. Les grossistes livrent à tous les autres clients. De ce fait, le nombre des clients de l'industrie a diminué (1541 en 1959 contre 2029 en 1957), tandis que la part du chiffre d'affaires total des fabriques de cigarettes qui est réalisée par les grossistes a augmenté (81,54% en 1962 contre 76,21% en 1957). Corrélativement, les marges des grossistes ont été réduites.

    2. Le commerce de gros a aboli la marge fixe de 20% sur le prix de vente aux détaillants et introduit une marge progressive de 15 à 22,5% selon le montant de la commande, afin d'amener le détaillant à concentrer ses commandes. Il a restreint les crédits et les délais de paiement accordés jusque-là aux détaillants.

    3. Les grossistes ont créé une caisse temporaire de compensation du chiffre d'affaires, appelée "pool". C'est un accord de contingentement, assorti d'une bonification aux grossistes qui n'ont pas atteint le contingent et de pénalités pour ceux qui le dépassent. Le quota est calculé selon la part moyenne de chaque grossiste à la distribution de cigarettes en Suisse pour tous les membres du pool. On prit d'abord comme référence la moyenne des années 1955 à 1957, puis le chiffre d'affaires moyen des trois dernières années civiles. La pénalité (3%, puis dès 1961, 3,75%) n'est pas appliquée aux grossistes qui dépassent leur quota de 20%, si leur chiffre d'affaires n'excède pas 500 000 fr., et de 10% s'il n'est pas supérieur à 1 200 000 fr. De plus, le mode de calcul du quota permet à chaque grossiste d'augmenter son chiffre d'affaires dans les mêmes proportions que le total des ventes des fabriques enBGE 91 II 25 S. 29

      Suisse - qui s'est fortement accru depuis 1957 - sans modifier la position respective des membres du pool.

      Créé pour cinq ans, jusqu'au 31 août 1963, le pool a été prorogé, avec des modifications réglementaires, jusqu'au 31 décembre 1964 en tout cas.

    4. La caisse de compensation des ducroires, alimentée par des versements des fabricants, supporte la moitié de la remise de 1 à 3% accordée à certains gros acheteurs collectifs (Union suisse des coopératives de consommation, sociétés d'achat, centrales d'achat des grands magasins); l'autre moitié du rabais est supportée par le grossiste vendeur.

    5. Les membres de l'ASFC consentent aux grossistes qui ont adhéré au règlement du commerce de gros de la branche du tabac et au réglement de la caisse de compensation du chiffre d'affaires (pool), les avantages suivants:

      - une remise de 2% sur les prix facturés;

      - une bonification dite rabais de fonction de 0,75% à 1,5% sur les prix facturés, selon l'importance du chiffre d'affaires (montant net des factures):

      de 500 000 à 1 200 000 fr.: 0,75%

      de 1 200 000 à 6 000 000 fr.: 1,25%

      plus de 6 000 000 fr.: 1,5%.

      La caisse de compensation des ducroires, qui est une institution de l'association des grossistes, ne sert ses prestations qu'aux maisons qui y sont affiliées.

      C.- En dépit de résistances initiales, la nouvelle réglementation du marché des cigarettes a été adoptée par les grossistes. La quasi-totalité d'entre eux - 129 maisons sur 131 - y ont adhéré. L'une des deux maisons dissidentes, Alex Martin SA, à Fribourg, a repris une entreprise individuelle fondée en 1880, qui faisait à l'origine le commerce de tabac au détail; aujourd'hui, elle exploite principalement un commerce de tabac en gros. Elle n'a pas voulu adhérer au pool, parce que les années 1955 à 1957 prises comme référence initiale étaient très défavorables pour elle. Plus tard, lorsque les trois dernières années civiles furent choisies comme déterminantes, elle exigea que seuls les six derniers mois précédant son entrée dans le pool fussent considérés comme référence. Les pourparlers ayant échoué de ce fait, Alex Martin SA persista dans son refus d'adhérer à la nouvelle réglementation. Elle ne bénéficia parBGE 91 II 25 S. 30

      conséquent jamais de la remise de 2% sur les prix facturés. En revanche, les membres de l'ASFC lui accordèrent tout d'abord le rabais de fonction de 0,75%, puis de 1,25%, vu l'augmentation de son chiffre d'affaires. Ils cessèrent toutefois de le faire à partir du 31 mars 1961, en invoquant la nouvelle convention passée entre eux le 15 décembre 1960. Cette mesure supplémentaire a été prise sous la pression des grossistes.

      Malgré ses marges de grossiste réduites par les conditions nouvelles du marché et les prix discriminatoires qui lui étaient facturés, Alex Martin SA a continué de faire bénéficier les détaillants des anciennes conditions, à savoir un rabais de 20% quel que soit le montant de la commande. Elle a encore surenchéri sur les rabais accordés aux clients pour paiement comptant. Grâce à sa politique d'expansion, elle a fortement augmenté son chiffre d'affaires, qui a passé d'environ 750 000 fr. en 1957 à plus de 3 500 000 fr. en 1962. Durant le même temps, le chiffre global des ventes de cigarettes indigènes augmentait dans la proportion de trois à cinq, passant de 300 à 500 millions de francs en chiffre rond.

      Alex Martin SA a produit une expertise privée selon laquelle elle subirait une perte annuelle de l'ordre de 13 à 15 000 fr. si son chiffre d'affaires était demeuré au...

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