Arrêt nº 4A 317/2007 de Ire Cour de Droit Civil, 9 janvier 2008

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Date de Résolution 9 janvier 2008
SourceIre Cour de Droit Civil

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Chapeau

134 III 224

39. Extrait de l'arrêt de la Ire Cour de droit civil dans la cause Banque X. SA contre Commune Y. (recours en matière civile)

4A_317/2007 du 9 janvier 2008

Faits à partir de page 225

BGE 134 III 224 S. 225

A.

A.a Au début 1988, la société en formation A. (ci-après: la société A.) a projeté de construire sur des parcelles dont elle était propriétaire dans la Commune Y. (ci-après: la commune), sise en Bretagne (France), un hôtel avec restaurant pour un coût estimé à 16 millions de francs français (FF). La société A. a souhaité que la commune garantît l'emprunt bancaire destiné au financement du projet.

Dans cette optique, le maire a expliqué le 29 janvier 1988 au conseil municipal de la commune que la garantie de celle-ci était sollicitée pour couvrir le 80 % d'un emprunt de 16 millions de FF, que la garantie accordée deviendrait définitive dès la constitution de la société A. et qu'en contrepartie la commune obtiendrait une hypothèque en premier rang. Après délibération, le conseil municipal a décidé d'accorder sa garantie à la société A. pour le remboursement en capital, intérêts et accessoires du 80 % de l'emprunt en ECU, d'une durée de 15 ans et au taux du marché, d'un montant équivalent à 16 millions de FF, que cette dernière allait solliciter auprès de la banque W. à Paris.

Le 1 er septembre 1988, une convention a ainsi été signée entre la société A. désignée comme l'"Emprunteur", la commune, représentée par son maire B., en tant que "Garant", et C. SA, société financière de droit suisse domiciliée à Genève, dénommée le "Prêteur". Aux termes de cette convention, C. SA s'engageait à prêter à la société A. un total de 2'287'000 ECU, dont 1'830'000 ECU étaient garantis par la commune. Le contrat était conclu pour une durée de 8 ans, prolongeable de 7 ans, sauf dénonciation émanant de l'une des parties contractantes. Il était stipulé que le taux d'intérêt serait fixé par le Prêteur, pour des périodes consécutives de six mois renouvelables, selon le taux LIBOR applicable aux dépôts en ECU à six mois, majoré de 1 %. Le remboursement du prêt était garanti BGE 134 III 224 S. 226

irrévocablement par la commune en vertu de la délibération du conseil municipal du 29 janvier 1988. La convention était soumise au droit suisse, une élection de for étant encore prévue en faveur des tribunaux genevois. Le même jour, le maire de la commune a également signé au nom de celle-ci un acte par lequel elle garantissait irrévocablement, à concurrence de 1'830'000 ECU, l'emprunt contracté par la société A., à charge de celle-ci d'inscrire une hypothèque de premier rang au profit de la commune. Selon cet acte, en cas de défaut de paiement de l'emprunteur aux échéances convenues, le garant devait s'acquitter à la première réquisition du prêteur suivant une mise en demeure; le garant donnait son accord à ce que l'emprunteur reçoive les fonds empruntés sur un compte ouvert auprès de la perception de la commune, les situations de paiement devant être visées par un représentant de cette dernière; la garantie était cessible, mais conjointement avec le contrat de prêt.

En vertu de la loi française applicable au contrôle administratif des actes des autorités communales, le contrat de prêt et la déclaration de garantie ont été transmis à la sous-préfecture de M., qui les a reçus le 1 er septembre 1988.

  1. SA n'était qu'un intermédiaire, dont la tâche consistait à mettre en place l'opération financière. Le 20 septembre 1988, C. SA a cédé à la Banque X. SA (ci-après: X.), société sise à Luxembourg, les droits et les obligations découlant du prêt garanti à concurrence de 1'830'000 ECU, ce dont la mairie de la commune a été informée par courrier du 6 octobre 1988.

    X. a remis les fonds, par 1'830'000 ECU, à la société A., laquelle a été immatriculée au registre du commerce de la ville française N. le 12 octobre 1988. Le solde des fonds dont le prêt était prévu par la convention tripartite du 1 er septembre 1988 n'a pas été versé à la société précitée.

    A.b L'hôtel projeté a été construit à l'aide des fonds prêtés.

    Le prêt octroyé à la société A. a été inscrit dans les comptes administratifs de la commune de 1989 à 1995 sous la section "Emprunts garantis". Il a été retenu que les comptes mentionnaient la somme en capital garantie, par 1'830'000 ECU, le taux d'intérêt ainsi que le montant des amortissements et des intérêts dus par exercice.

    A.c La société A. a été mise en redressement judiciaire le 10 janvier 1991, puis en liquidation judiciaire le 17 octobre 1991. BGE 134 III 224 S. 227

    Le 28 mai 1991, X. a produit devant le représentant des créanciers de la société A. une créance de 13'254'423 FF 52, correspondant à la contre-valeur de 1'830'000 ECU plus les intérêts. Cette créance a été admise par le Juge-Commissaire de la liquidation judiciaire. En raison de l'insuffisance des actifs, X. n'a toutefois pas été désintéressée.

    Le 5 juillet 2001, le liquidateur judiciaire a fait parvenir à la commune, en tant que titulaire d'une inscription hypothécaire, un chèque de 4'900'000 FF à titre d'acompte sur le solde du produit de réalisation des immeubles de la société A., après déduction des créances privilégiées.

    A.d Par courrier du 16 octobre 1991, X. a fait appel à la garantie et a mis en demeure la commune de lui payer 2'051'782 ECU 66. Par courrier du 4 novembre 1991, son maire B. a contesté que la commune ait été liée par la garantie, au motif que l'acte signé divergeait de la délibération du conseil municipal. Il a fait valoir que la délibération du conseil municipal prévoyait un prêt de 16'000'000 FF d'une durée de quinze ans octroyé par la banque française W., alors que la convention du 1 er septembre 1988 se rapportait à un prêt de 2'287'000 ECU consenti par une société suisse pour une durée de huit ans.

    B.

    B.a Le 10 juillet 1992, X. a ouvert action contre la commune devant le Tribunal de première instance de Genève. Dans ses dernières conclusions, elle a requis paiement de 4'160'827 fr. 53, soit la contre-valeur de 2'250'799 ECU 27 au cours de 1,8486, avec intérêts au taux LIBOR pour des dépôts en ECU/EURO d'une durée de six mois, majoré de 1 %, à compter du 1 er juillet 1992. La banque a fondé son action sur les deux actes signés le 1 er septembre 1988 par le maire de la commune.

    La commune défenderesse a conclu à sa libération. Se prévalant de normes du droit administratif français régissant les communes, elle a soutenu qu'elle n'était pas liée par l'acte de garantie signé par le maire le 1 er septembre 1988 dans la mesure où son contenu divergeait notablement de la délibération qui s'est déroulée le 29 janvier 1988 au sein du conseil municipal.

    En cours d'instance, des autorités françaises ont examiné les effets juridiques déployés par ladite garantie. BGE 134 III 224 S. 228

    Ainsi, par jugement du 5 juillet 1995, le Tribunal administratif de Rennes a retenu que le maire de la commune, en signant la convention de prêt et l'acte de garantie du 1 er septembre 1988, s'était écarté des conditions qu'avait fixées le conseil municipal et avait méconnu les dispositions de l'art. L. 122-19 du code des Communes, selon lequel le maire est chargé d'exécuter les décisions du conseil municipal.

    Par arrêt du 20 octobre 2000, le Conseil d'Etat a confirmé le jugement précité.

    B.b Par jugement du 14 décembre 2006, le Tribunal de première instance a débouté la demanderesse de toutes ses conclusions. Se basant sur les décisions du Tribunal administratif de Rennes et du Conseil d'Etat, il a considéré que le maire de la commune avait outrepassé la délibération du conseil municipal en signant la convention de prêt et l'acte de garantie du 1 er septembre 1988, de sorte que la représentée (i.e. la commune) n'était pas obligée par les obligations contractées par son représentant (i.e. son maire). Appliquant le droit français et, singulièrement, la notion de mandat apparent développée par la jurisprudence des tribunaux français, il a retenu que C. SA était en mesure de se rendre compte que le maire avait excédé ses pouvoirs. En outre, la défenderesse n'avait pas ratifié par actes concluants les actes juridiques susmentionnés. Le tribunal a déduit de ces considérations que la commune n'était pas engagée par la déclaration de garantie.

    B.c X. a déposé un appel contre ce jugement devant la Chambre civile de la Cour de justice du canton de Genève en reprenant ses conclusions de première instance.

    Par arrêt du 22 juin 2007, cette autorité a annulé le jugement du 14 décembre 2006, puis, statuant à nouveau, prononcé que la défenderesse devait payer à la demanderesse la somme de 3'382'938 fr. Appliquant le droit français, la cour cantonale a considéré que la défenderesse était engagée envers le cessionnaire de C. SA selon les termes des actes du 1 er septembre 1988, cela en vertu de la théorie du mandat apparent. La cour cantonale s'est ensuite penchée sur le montant de la prétention réclamée par la demanderesse. Elle a observé qu'il était admis que la société A. avait reçu en prêt 1'830'000 ECU et qu'elle n'avait pas remboursé la somme prêtée. Il était également reconnu que la demanderesse avait mis en demeure la commune de lui verser le montant que celle-ci avait BGE 134 III 224 S. 229

    garanti. Pourtant, le montant réclamé en justice par X., soit 2'250'799 ECU 27, incluait en plus du capital, selon son propre décompte, des intérêts calculés à compter du 28 septembre 1990, intérêts dont les parties contractantes étaient convenues que le taux correspondrait au LIBOR pour les dépôts en ECU à six mois majoré de 1 %, modifiable semestriellement. Dès l'instant où il fallait retenir que le taux LIBOR depuis 1990 ne constituait pas un fait notoire en procédure civile genevoise, il incombait à la demanderesse, en vertu des normes de la procédure de ce canton, d'établir le taux en question par semestre et de le justifier par pièces. X. avait échoué dans cette entreprise.

  2. X. exerce un recours en matière civile contre l'arrêt...

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