Arrêt nº 2A.496/2006 de IIe Cour de Droit Public, 15 octobre 2007

Conférencierpublié
Date de Résolution15 octobre 2007
SourceIIe Cour de Droit Public

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Chapeau

133 II 429

39. Extrait de l'arrêt de la IIe Cour de droit public dans les causes jointes Fédération laitière valaisanne contre Cremo SA et Fédération laitière valaisanne contre Strähl Käse AG et consorts, ainsi que Commission de recours du Département fédéral de l'économie (recours de droit administratif)

2A.496/2006 / 2A.497/2006 du 15 octobre 2007

Faits à partir de page 430

BGE 133 II 429 S. 430

  1. BGE 133 II 429 S. 431

    A la suite d'une demande déposée le 1er juillet 1997 par la Fédération laitière valaisanne (FLV) et après différentes péripéties de procédure, l'Office fédéral de l'agriculture (ci-après: l'Office fédéral) a mis en consultation auprès des autorités fédérales et cantonales concernées, le 12 juillet 2001, l'enregistrement comme appellation d'origine contrôlée de la dénomination "Raclette du Valais" ("Walliser Raclette"); le projet de cahier des charges précisait que le terme "raclette" était également protégé, de même que les spécifications "à rebibes" ("Hobelkäse") et "à la coupe" (sic) ("Schnittkäse") utilisées en combinaison avec la dénomination principale. Trois cantons (Valais, Schwyz et Zoug) ont proposé d'admettre la demande, tandis que huit cantons (Berne, Fribourg, Grisons, Lucerne, Obwald, Saint-Gall, Thurgovie et Vaud), ainsi que l'Office fédéral de la santé publique (OFS) et l'Institut fédéral de la propriété intellectuelle (IPI) se sont prononcés contre l'enregistrement, du moins contre la protection du terme "raclette" pris isolément.

    Par décision du 9 novembre 2001, l'Office fédéral a admis la demande d'enregistrement précitée avec le cahier des charges suivant (art. 1er, dans sa version en français):

    1. Raclette du Valais AOC. Le terme Raclette est protégé.

    2. Les spécifications "à la coupe" et "à rebibes" en combinaison avec l'appellation d'origine contrôlée "Raclette du Valais" sont également protégées.

    Cette décision retenait notamment que, sur le vu des éléments au dossier historique et des résultats d'une enquête réalisée en Suisse en septembre 1999 auprès de 500 personnes, les désignations "Raclette du Valais" et "Raclette" n'étaient pas génériques, mais pouvaient être considérées comme des dénominations traditionnelles et, à ce titre, enregistrées comme des appellations d'origine contrôlées au sens de l'art. 2 al. 2 de l'ordonnance du 28 mai 1997 concernant la protection des appellations d'origine et des indications géographiques des produits agricoles et des produits agricoles transformés (ordonnance sur les AOP et les IGP; RS 910.12).

    BGE 133 II 429 S. 432

    La décision précitée de l'Office fédéral a fait l'objet de cinquante oppositions émanant de corporations publiques (cantons, communes), de différentes sociétés commerciales (fromagères ou de distribution) et de Raclette Suisse, association sise à Berne regroupant la quasi totalité des producteurs suisses de fromage à raclette sis hors le canton du Valais. Les opposants contestaient en particulier l'enregistrement des spécifications "à la coupe" et "à rebibes" en combinaison avec la dénomination principale, de même que la protection accordée au terme "raclette" pris isolément; ils faisaient notamment valoir que ce dernier ne pouvait pas être enregistré sous la forme d'une dénomination traditionnelle, car il ne désignait pas un produit agricole transformé, soit un fromage, mais un mets, un plat ou une recette à base de fromage fondu servi avec des pommes de terre et différents condiments (cornichons, oignons, etc.); ils mettaient également en doute les conclusions de l'enquête d'opinion utilisée pour établir le caractère prétendument traditionnel de la dénomination litigieuse, au motif que les questions posées étaient mal formulées et ne permettaient pas de savoir si les personnes interrogées établissaient une relation entre le Valais et l'évocation du terme "raclette" au sens du plat traditionnel valaisan à base de fromage fondu ou au sens du fromage utilisé pour la préparation de ce mets; enfin, ils soutenaient que la dénomination "Raclette" ne pouvait en toute hypothèse pas être enregistrée, car elle avait un caractère générique.

    L'Office fédéral a joint les différentes oppositions dans une seule procédure et a ordonné les mesures d'instruction utiles. Il a notamment confié à l'Institut IHA-GfK le soin de réaliser une nouvelle enquête d'opinion destinée à éclaircir les rapports existants, dans l'esprit des publics valaisan et suisse (professionnels et consommateurs), entre la dénomination litigieuse "Raclette" et le Valais (rapport du 16 janvier 2003 établi sur la base d'un échantillon de 1'101 personnes interrogées en décembre 2002).

    Le canton du Valais et la Fédération laitière valaisanne ont conclu au rejet des oppositions, en déposant notamment un avis de droit du professeur François Dessemontet (du 5 juillet 2002) à l'appui de leurs déterminations.

    Par décision du 3 novembre 2003 (rédigée simultanément en allemand et en français), l'Office fédéral a très partiellement admis deux des oppositions dont il était saisi sur des points accessoires du cahier des charges (soit les art. 4 et 11 réglant la teneur en eau et la maturation du fromage), et a déclaré les autres oppositions irrecevables (pour 22 d'entre elles) ou sans objet (pour 2 d'entre elles) ou les a entièrement rejetées (pour 24 d'entre elles). Il a notamment estimé que l'usage de consommer du fromage fondu au feu de bois était documenté depuis 1574 en Valais; que depuis la deuxième moitié du XIXe siècle, ce mets à base de fromage était connu dans les BGE 133 II 429 S. 433

    différents patois valaisans sous les noms de "rutschia", "ràchia" ("râchia") ou "râcla" qui dérivaient étymologiquement du terme français "raclette" désignant un petit racloir; que peu à peu, ces différentes désignations s'étaient francisées en "râclette" puis "raclette"; que les premiers documents écrits attestant l'utilisation du terme "raclette" en Valais remontaient aux années 1870; qu'à compter du XXe siècle, ce terme avait progressivement été utilisé pour désigner indistinctement aussi bien le mets à base de fromage fondu que le fromage servant à sa préparation; que cette double signification était actuellement attestée par Le Petit Larousse Illustré (édition 1995); qu'au vu du dossier historique, la dénomination litigieuse "Raclette" se rattachait donc bien au Valais; qu'en dépit de certains éléments attestant un début de dégénérescence (absence de la dénomination litigieuse dans l'ancienne ordonnance réglant la désignation des fromages suisses ainsi que dans les conventions internationales), les sondages d'opinion réalisés en 1999 et 2002 démontraient qu'un grand nombre de producteurs et de consommateurs valaisans et suisses associaient encore le terme litigieux à une provenance valaisanne; que son caractère de dénomination traditionnelle devait dès lors être tenu pour établi.

  2. De nombreuses parties opposantes ont recouru, tantôt en langue allemande, tantôt en français, contre la décision sur opposition précitée (du 3 novembre 2003) de l'Office fédéral. Elles reprenaient, pour l'essentiel, les arguments et les conclusions formulés en procédure d'opposition.

    La Fédération laitière valaisanne a conclu au rejet des recours, en déposant un avis de droit complémentaire (du 16 avril 2004) du professeur Dessemontet.

    Par deux décisions (sur recours) séparées du 27 juin 2006, l'une rédigée en allemand après jonction des procédures de recours instruites dans cette langue (causes Strähl Käse AG et consorts), l'autre en français pour le seul recours formé dans cette langue (soit celui déposé par Cremo SA), la Commission fédérale de recours a partiellement admis les pourvois dont elle était saisie et annulé les décisions attaquées, en ce sens qu'elle a subordonné l'enregistrement de la dénomination "Raclette du Valais" ("WalliserRaclette") comme appellation d'origine contrôlée à la suppression, à l'art. 1er al. 1 du cahier des charges, de la phrase "Le terme Raclette est protégé" ("Die Bezeichnung Raclette wird geschützt"). Les recours ont été rejetés pour le surplus.

    BGE 133 II 429 S. 434

    En bref, la Commission fédérale de recours a estimé qu'au vu notamment des pièces constituant le dossier historique (extraits d'ouvrages scientifiques, littéraires ou culinaires; coupures de presse; références lexicales; articles publicitaires; documents officiels; etc.), le terme "raclette" était certes traditionnellement utilisé en Valais et en Suisse pour désigner le mets d'origine valaisanne à base de fromage fondu, mais non le fromage lui-même; que son emploi pour désigner le fromage était récent et résultait apparemment de l'ellipse de la locution "fromage à raclette"; qu'auparavant, le fromage utilisé pour la raclette était plutôt désigné en Valais soit par son lieu d'origine (fromage de Bagnes, de Conches, d'Orsières, etc.), soit par les locutions "fromage à raclette", "fromage du Valais" ou "fromage à raclette valaisan"; que la forme elliptique "raclette" avait notamment été consacrée dans des décrets français des 20 juin 1984 et 30 décembre 1998 (voir infra consid. 8.2.1); qu'au surplus, cet usage récent du terme ne désignait pas spécifiquement le fromage gras valaisan au lait cru utilisé pour la raclette, mais tout fromage à raclette indépendamment de sa provenance, comme le confirmaient notamment certaines références lexicales (par exemple les dictionnaires Robert et Larousse ou Le Larousse des fromages); que les documents produits par la Fédération laitière valaisanne pour démontrer le contraire étaient récents et reflétaient des opinions isolées ou peu convaincantes (notamment la définition contenue dans le Dictionnaire suisse romand, édité en 1997); que les enquêtes d'opinion versées au dossier étaient pour partie entachées de vices méthodologiques et ne permettaient en toute hypothèse pas d'aboutir à une autre conclusion; que l'exemple de la dénomination "Feta" reconnue comme traditionnelle en droit communautaire pour désigner le fromage grec du même...

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