Arrêt nº 2A.529/2006 de IIe Cour de Droit Public, 19 février 2007

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Date de Résolution19 février 2007
SourceIIe Cour de Droit Public

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Chapeau

133 II 68

  1. Extrait de l'arrêt de la IIe Cour de droit public dans la cause Nomura Bank International PLC et Crédit Suisse SA contre Service de l'économie, du logement et du tourisme, Police cantonale du commerce ainsi que Tribunal administratif du canton de Vaud (recours de droit administratif)

    2A.529/2006 du 19 février 2007

    Faits à partir de page 69

    BGE 133 II 68 S. 69

    A l'occasion de la Coupe du monde de football jouée en Allemagne du 9 juin au 9 juillet 2006, Nomura Bank International PLC (ci-après: Nomura) a émis un produit de placement, intitulé "13,5 % CHF Equity Yield Note en CHF à 1 an avec 'Coupon Bonus' sur la Coupe du monde de football" (ci-après: la "Note") qualifié de "dérivé structuré", dont la banque Crédit Suisse était distributrice en Suisse. L'offre comprend deux volets.

    Le premier volet invitait l'investisseur à acquérir jusqu'au 28 avril 2006 une "Note" (coupure de 1'000 fr.). Cette "Note" devait être payée au 12 mai 2006 et pouvait être négociée sur le marché secondaire jusqu'au 14 mai 2007, qui est également la date de son remboursement. Dans tous les cas, à l'échéance de la "Note" le 30 avril 2007, l'investisseur reçoit un intérêt de 13,5 % sur le capital investi. En revanche, le montant du remboursement dépend des fluctuations des actions de cinq sociétés qui parrainaient la Coupe du monde (Deutsche Telekom, McDonald's Corp., Philips Electronics NV, Procter & Gamble et Toshiba Corp.) en fonction de leur valeur initiale établie le 28 avril 2006. Dans l'hypothèse où, jusqu'au 30 avril 2007, aucune des actions sous-jacentes ne descend en dessous de 75 % de sa valeur initiale (condition nommée ci-après: barrière), l'investissement est remboursé à 100 %, même si à l'échéance une ou plusieurs actions sous-jacentes était cotée au dessous de son niveau initial. Dans la deuxième hypothèse en revanche, si une seule catégorie de ces actions devait, ne serait-ce qu'une fois, descendre en dessous de 75 % de sa valeur initiale jusqu'au 30 avril 2007 et si l'une ou plusieurs de ces catégories d'actions sous-jacentes se négociaient au dessous de leur valeur initiale à cette même date, le remboursement en espèces serait diminué de 1 % pour chaque point de pourcentage manquant au titre le moins performant pour atteindre son niveau initial. BGE 133 II 68 S. 70

    Le deuxième volet concerne le "Coupon Bonus", qui fait partie intégrante de la "Note". Selon que l'équipe suisse de football atteint les quarts de finales, les demi-finales ou la finale de la compétition, l'investisseur obtient un coupon supplémentaire d'intérêts de 1 % (14,5 % en tout), de 3 % (16,5 % en tout) et de 7 % (20,5 % en tout). Si l'équipe suisse est championne du monde, le coupon supplémentaire est de 15 % (28,5 % en tout). Selon le descriptif, "que la barrière soit atteinte ou non n'affecte en rien le paiement du Coupon Bonus".

    Le descriptif publié par le Crédit Suisse précise également que le produit n'est pas considéré comme un fonds de placement, qu'il n'est pas soumis à la législation y relative ni à la surveillance de la Commission fédérale des banques.

    Le Service de l'économie, du logement et du tourisme ainsi que le Tribunal administratif du canton de Vaud ont considéré qu'il s'agissait d'un pari prohibé par la loi fédérale sur les loteries et les paris professionnels.

    Agissant par la voie du recours de droit administratif, Nomura et Crédit Suisse ont demandé au Tribunal fédéral d'annuler l'arrêt du Tribunal administratif du canton de Vaud et de constater que le produit de placement intitulé "13,5 % CHF Equity Yield Note en CHF à 1 an avec 'Coupon Bonus' sur la Coupe du monde de football" ne relève pas de la loi fédérale sur les loteries et les paris professionnels et de son ordonnance d'application.

    Le Tribunal fédéral a rejeté le recours.

    Extrait des considérants:

    Extrait des considérants:

  2. 3.1 L'art. 106 Cst. dispose que la législation sur les jeux de hasard BGE 133 II 68 S. 71

    et les loteries relève de la compétence de la Confédération. Cet article remplace l'art. 35 aCst. (sur ce point: cf. JEAN-FRANÇOIS AUBERT/ PASCAL MAHON, Petit commentaire de la Constitution fédérale de la Confédération suisse, Schulthess 2003, n. 2 ad art. 106 Cst., p. 811 ss). Son but est de protéger le public contre des dépenses déraisonnables et peu économiques faites en vue d'obtenir des avantages incertains dans un esprit de jeu (Message du Conseil fédéral du 13 août 1918 concernant le projet de loi fédérale sur les loteries et les entreprises analogues, FF 1918 IV 343; cf. ANNE-CATHERINE IMHOFF-SCHEIER, La validité des jeux-concours publicitaires envoyés par correspondance, RDS 104/1985 I p. 25, spéc. p. 36 s. et les références citées).

    3.2 Dès l'origine, le législateur de droit public a opté en faveur de deux lois distinctes: la loi fédérale du 8 juin 1923 sur les loteries et les paris professionnels (LLP; RS 935.51) et la loi fédérale sur les maisons de jeu adoptée en 1929 (RS 10 p. 270). Cette partition a été maintenue lors de l'adoption en 1998 de la loi fédérale du 18 décembre 1998 sur les jeux de hasard et les maisons de jeu (loi sur les maisons de jeu, LMJ; RS 935.52, entrée en vigueur le 1er avril 2000).

    Dans l'optique du législateur fédéral, la loi sur les maisons de jeu "règle de manière exhaustive les jeux de hasard offrant des chances de réaliser un gain en argent ou d'obtenir un autre avantage matériel" tandis que la loi fédérale sur les loteries et les paris professionnels constitue une lex specialis par rapport à la première (Message du Conseil fédéral du 26 février 1997 relatif à la loi fédérale sur les jeux de hasard et les maisons de jeux, FF 1997 III 137, p. 151 et 162). En précisant que la loi sur les maisons de jeu ne s'applique pas aux loteries et aux paris professionnels, ceux-ci étant régis par la loi fédérale du 8 juin 1923 les concernant, l'art. 1 al. 2 LMJ concrétise cette volonté du législateur. Il convient donc de distinguer parmi les jeux de hasard définis à l'art. 3 al. 1 LMJ, ceux dont le régime général est réglé par l'art. 4 LMJ et ceux qui répondent aux définitions d'une loterie (ou d'une opération analogue à une loterie) ou d'un pari professionnel, dont le régime est exclusivement réglé par la loi fédérale sur les loteries.

    Les premiers sont autorisés lorsqu'ils entrent dans la liste des jeux établie par le Conseil fédéral et qu'ils sont proposés dans une maison de jeu concessionnaire (art. 4 LMJ). Les seconds n'échappent à la prohibition de l'art. 1er al. 1 LLP que s'il s'agit de tombolas (art. 2 LLP), de loteries et d'opérations analogues (art. 43 de l'ordonnance du 27 mai 1924 relative à la loi fédérale sur les loteries et les BGE 133 II 68 S. 72

    paris professionnels [OLLP; RS 935.511]) à des fins d'utilité publique ou de bienfaisance (art. 3 LLP) - aux conditions des art. 5 ss LLP - ou encore d'emprunts à primes (art. 3 LLP) aux conditions des art. 17 ss LLP. De même, n'échappent à la prohibition de l'art. 33 LLP que les paris professionnels qui peuvent être qualifiés de paris professionnels au totalisateur au sens de l'art. 34 LLP et qui sont permis par le droit cantonal.

    3.3 Le législateur de droit privé a aussi réglementé les jeux et paris. Les art. 513 à 515a CO ont pour effet d'exclure toute action en justice en vue de l'exécution d'une dette découlant d'un jeu, du pari ou d'une avance ou prêt fait sciemment en vue d'un jeu ou d'un pari ainsi que des marchés différentiels et autres marchés à terme sur des marchandises ou valeurs de bourses quand ils offrent le caractère du jeu ou du pari (cf. art. 513 CO et sa note marginale; PIERRE TERCIER, Les contrats spéciaux, 3e éd., Schulthess 2003, n° 6395, p. 919).

    C'est à la lumière de ces principes que doit être apprécié le produit offert par les recourantes.

  3. 4.1 Aux termes de la définition générale de l'art. 3 LMJ, les jeux de hasard sont des jeux qui offrent, moyennant une mise, la chance de réaliser un gain en argent ou d'obtenir un autre avantage matériel, cette chance dépendant uniquement ou essentiellement du hasard.

    4.2 Le Tribunal administratif a jugé à cet égard que la "Note" et le "Coupon Bonus" ne pouvaient être acquis séparément, de sorte que le paiement de la "Note" représentait une forme de mise. Pour l'investisseur, la perspective de réaliser un gain était évidente, puisque le bonus d'intérêts supplémentaires dépendait de parties de football de l'équipe de Suisse durant la Coupe du monde 2006 dont l'issue constituait alors un événement futur inconnu de lui-même et des recourantes.

    Les recourantes font valoir que les deux composantes du produit qu'elles ont émis en avril 2006 doivent être examinées pour elles-mêmes. Selon elles, la "Note" constituerait un marché à terme échappant aux catégories instituées par la loi sur les loteries, tandis que, considéré pour lui-même, le "Coupon Bonus" équivaudrait à la promesse de verser une somme d'argent en fonction des performances sportives de l'équipe suisse de football durant le championnat du monde 2006 et constituerait par conséquent une donation soumise à une condition future incertaine.

    BGE 133 II 68 S. 73

    Ce point de vue est erroné. En achetant le produit proposé par les recourantes, l'investisseur a acquis simultanément, d'une part, une créance en remboursement, à l'échéance de la "Note", de tout ou partie du capital investi ainsi qu'une créance en paiement de l'intérêt de 13,5 % stipulé sur ce capital et, d'autre part, l'espoir d'obtenir un bonus d'intérêts supplémentaires de 1 %, 3 %, 7 % ou 15 % en fonction des résultats de l'équipe suisse de football durant le championnat du monde 2006. La "Note" et le "Coupon Bonus" en cause ne pouvant être acquis séparément selon la volonté des recourantes, ils ne sauraient être qualifiés indépendamment l'un de l'autre; étant inséparables au moment de la souscription, ils doivent recevoir une qualification globale au regard tant de l'art. 3 LMJ que des art. 1 ss et 33 ss LLP, dont les définitions des jeux de hasard se...

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