Arrêt nº 1A.217/2005 de Ire Cour de Droit Civil, 4 janvier 2006

Date de Résolution 4 janvier 2006
SourceIre Cour de Droit Civil

Tribunale federale

Tribunal federal

{T 0/2}

1A.217/2005 /col

Arrêt du 4 janvier 2006

Ire Cour de droit public

Composition

MM. les Juges Féraud, Président,

Aemisegger, Reeb, Fonjallaz et Eusebio.

Greffier: M. Kurz.

Parties

O.________,

T.________,

P.________,

W.________,

M.________,

recourantes,

toutes représentées par Me Bruno de Preux, avocat,

contre

Ministère public de la Confédération,

Taubenstrasse 16, 3003 Berne.

Objet

entraide judiciaire internationale en matière pénale à la Russie,

recours de droit administratif contre la décision du Ministère public de la Confédération du 14 juillet 2005.

Faits:

A.

Le 15 août 2003, le Procureur général de la Fédération de Russie a requis l'entraide judiciaire de la Suisse, dans le cadre d'une enquête dirigée contre les dénommés Goloubovitch et Lebedev, soupçonnés notamment d'escroquerie, d'abus de confiance et d'inexécution d'un jugement. Responsables de la banque Menatep, Lebedev et Goloubovitch se seraient "emparés frauduleusement", en 1994, de 20% des actions de la société russe OAO Apatit (ci-après: Apatit, active dans le commerce d'apatite - phosphate de calcium utilisé comme engrais), par le biais de la société Volna. Ces actions appartenaient à l'Etat, et un jugement de restitution aurait été prononcé en 1998 par un tribunal de Moscou, mais n'aurait été exécuté partiellement (par le versement de 20% de la valeur des actions) qu'en 2002. De 1994 à 2002, profitant de son contrôle sur Apatit, Goloubovitch aurait organisé l'exportation d'apatite, par le biais de sociétés russes qu'il contrôlait également, à destination des sociétés suisses F.________ et O.________, pour un prix de 30 USD la tonne alors que le prix moyen du marché était de 45 USD. Les sociétés suisses auraient revendu la marchandise pour un prix de 40 à 78,5 USD la tonne. Les bénéfices résultant de ces opérations auraient été déposés dans des banques suisses, puis blanchis "dans des affaires légales". Le Procureur russe demandait des documents concernant F.________ et O.________ (statuts, comptabilité, contrats de vente, rapports d'activités, documents bancaires), l'identification et l'audition de leurs dirigeants, ainsi que la détermination de la destination des fonds, le cas échéant leur blocage. Les comptes du groupe Menatep sont en particulier visés.

Les 14 et 18 novembre 2003, l'autorité requérante précisa que l'enquête visait les fondateurs et dirigeants du groupe Menatep, soit en particulier Mikhail Borissovitch Khodorkovski et d'autres. La structure du groupe était précisée (notamment sa gestion par la société GML Management Services SA à Genève), ainsi que certains comptes bancaires. La société Yukos Universal Ltd, détenue à 100% par Menatep, aurait servi aux activités de blanchiment.

Des renseignements complémentaires ont été fournis le 22 janvier 2004. Il est fait état de remboursements indus d'impôts et de détournements de la vente de produits pétroliers. Le groupement dirigé par Khodorkovski bénéficiait d'appuis auprès des autorités politiques, et recourait à la corruption pour éliminer ses concurrents.

B.

Par décisions du 20 février 2004, le Ministère public de la Confédération (MPC, chargé de l'exécution en vertu d'une décision du 31 octobre 2003 de l'Office fédéral de la justice) est entré en matière sur la demande et les compléments déposés jusque-là. La condition de la double incrimination était considérée comme satisfaite, les actes décrits pouvant être constitutifs d'abus de confiance, escroquerie, gestion déloyale, faux dans les titres, organisation criminelle, blanchiment d'argent, corruption et escroquerie fiscale. Les mesures suivantes ont notamment été ordonnées: l'identification des comptes bancaires détenus par F.________ et O.________ et la communication de toutes les données et de tous les extraits dès 1994. Des perquisitions ont eu lieu dans les bureaux de fiduciaires à Fribourg et à Zurich, puis à Carouge; 1300 classeurs de documents ont été saisis concernant F.________, O.________ et M.________. Le directeur de O.________ a été entendu.

Des sommes importantes ont été bloquées à titre provisoire, et l'autorité requérante a été invitée à se déterminer à ce sujet. Le 12, puis le 19 mars 2004, l'autorité requérante produisit des ordonnances de séquestre émanant d'un juge moscovite. Elle expliqua en outre que l'organisation dirigée par Khodorkovski, après avoir pris le contrôle de la société Yukos, avait organisé la vente à bas prix de produits pétroliers et leur revente, depuis l'étranger, au cours du marché. Ces accusations ont été précisées par la suite, les 2, 13 et 23 avril, puis le 7 mai 2004. Le 25 mars 2004, le MPC a donné suite à la demande de blocage et a ordonné le séquestre de comptes bancaires détenus notamment par F.________, O.________ et N.________. Les recours formés contre ces décisions ont été jugés irrecevables, faute de préjudice irréparable (arrêt 1A.85/2004 du 1er juin 2004 concernant O.________; cf. également l'ATF 130 II 329 annulant un autre séquestre, faute de connexité et de proportionnalité). La mesure de blocage frappant le compte de O.________ a fait l'objet d'aménagements; finalement 41'401'159 USD ont été transférés et bloqués auprès d'une banque genevoise.

C.

Le 17 juin 2004, l'autorité requérante a récapitulé ses accusations, soit: la création du groupe Menatep, de sociétés off-shore et de sociétés russes prête-nom (notamment Volna); l'appropriation par escroquerie de 20% des actions Apatit mises au concours par l'Etat russe, en promettant un investissement de 283 millions d'USD et en produisant une lettre de garantie de Menatep; le refus de fournir l'investissement promis, et la tentative de faire croire que les actions avaient été revendues par Volna à des tiers; la prise de contrôle d'Apatit, la mise en place d'une équipe dirigeante; la tromperie des actionnaires en leur faisant croire, sur la base de faux, que l'apatite achetée 30 USD la tonne avait été revendue au même prix, et en les frustrant d'un droit au dividende; la répartition des fonds détournés entre les membres de l'organisation, par le recours à de nombreuses sociétés-écran, sous couvert de versements de commissions; le détournement du produit de la vente de pétrole par les filiales de la compagnie Yukos; l'appropriation d'actions d'autres compagnies par des échanges. Une nouvelle demande de blocage de fonds a été présentée le 22 juin 2004, selon une liste de personnes physiques et morales. Le 9 septembre 2004, l'autorité requérante fit savoir que les ordonnances de séquestre prononcées à Moscou avaient fait l'objet de recours, rejetés en juin et juillet 2004.

Dans un complément du 14 septembre 2004, le montant des détournements relatifs à la vente d'apatite est estimé à près de 500 millions d'USD, qui pourraient encore se trouver sur les comptes en Suisse des sociétés F.________, O.________ et NW N.________ AG, alors que les opérations pétrolières auraient rapporté 7,750 milliards d'USD. Le cheminement des fonds aurait déjà pu être retracé pour 5 milliards d'USD, les documents requis de la Suisse devant permettre de déterminer le sort du solde.

D.

Invitée à se déterminer sur la transmission des documents bancaires, O.________ a pris position les 21 juillet et 26 novembre 2004, puis le 10 janvier 2005. Elle soutenait que l'enquête pénale était de nature politique et discriminatoire, et que les faits exposés étaient fallacieux, notamment dans la mesure où la différence de prix dans les ventes d'apatite était justifiée par les frais de transport. La transmission devait être limitée aux seules opérations relatives à la vente d'apatite. Se déterminant sur les 30 classeurs de documents sélectionnés par le MPC, O.________ s'est livrée à un examen de détail, concluant à l'inutilité de la majorité des pièces d'exécution.

E.

Dans un complément du 20 janvier 2005, l'autorité requérante a fait état de l'intervention du dénommé Maline président de la "Fédération russe des biens fédéraux" qui, en échange d'actions appartenant à F.________, aurait permis de ne pas exécuter le jugement de restitution des actions Apatit.

Le 2 juin 2005, l'autorité requérante indiqua que les dirigeants du groupe Yukos pourraient aussi se voir reprocher des meurtres ou des tentatives de meurtre contre des personnes considérées comme gênantes. Le dommage global, pour l'Etat et les actionnaires de Yukos et Apatit, s'élèverait à 8 milliards d'USD. Il était encore précisé que Khodorkovski et Lebedev avaient été condamnés, le 21 mai 2005, à 9 ans de détention par un tribunal de Moscou, notamment pour détournements de fonds et appropriation des bénéfices de la vente d'apatite. L'autorité requérante estimait que les droits des prévenus avaient été respectés.

Le 24 juin 2005, l'OFJ s'est adressé à l'autorité requérante, en reprenant les griefs formulés à l'encontre de la procédure pénale russe dans un rapport du 29 novembre 2004 établi à l'attention de l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe, relatif à l'inculpation et à l'arrestation des hauts-dirigeants de Yukos. Sans prendre position sur ces reproches, il demandait à l'autorité russe de fournir les garanties suivantes: les autorités judiciaires devraient statuer en...

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