Arrêt nº 4C.224/2005 de Ire Cour de Droit Civil, 12 décembre 2005

Date de Résolution12 décembre 2005
SourceIre Cour de Droit Civil

Tribunale federale

Tribunal federal

{T 0/2}

4C.224/2005 /ech

Arrêt du 12 décembre 2005

Ire Cour civile

Composition

MM. et Mmes les Juges Corboz, Président, Klett, Rottenberg Liatowitsch, Nyffeler et Favre.

Greffier: M. Ramelet.

Parties

  1. Agefi Groupe SA,

  2. Agefi, Société de l'agence économique et financière SA,

  3. X.________,

    demandeurs et recourants,

    tous les trois représentés par Me Christian Reiser,

    contre

  4. Le Temps SA,

  5. Z.________,

  6. Tribune de Genève SA,

  7. Edipresse Publications SA,

  8. Y.________,

  9. Ringier SA,

    défendeurs et intimés,

    tous les six représentés par Me Pierre Martin-Achard.

    Objet

    concurrence déloyale, dénigrement par voie de presse,

    recours en réforme contre l'arrêt de la Chambre civile de la Cour de justice du canton de Genève du 13 mai 2005.

    Faits:

    A.

    Agefi Groupe SA (la demanderesse n° 1) est une société anonyme qui a pour but l'acquisition, l'administration et la gestion de participations financières dans le domaine des médias, du commerce électronique (E-commerce et E-trade), soit notamment la presse écrite et les médias électroniques, ainsi que la création et l'exploitation de sites internet. La demanderesse n° 1 est cotée à la bourse suisse depuis le 5 juillet 1999; le président de son conseil d'administration est l'avocat genevois A.________.

    Agefi, Société de l'agence économique et financière SA (la demanderesse n° 2) est une société anonyme dont le but est l'édition et la publication du journal financier l'Agefi, ainsi que la publication d'autres périodiques économiques. La totalité du capital-actions de la demanderesse n° 2, dont le président du conseil d'administration est également A.________, est détenue par la demanderesse n° 1.

    L'Agefi est un quotidien spécialisé dans l'information financière et bancaire, diffusé principalement en Suisse romande. L'essentiel des recettes du journal provient de la mise à disposition d'espaces publicitaires. Début janvier 2004, B.________ et C.________ ont annoncé leur démission respectivement de leur poste de directeur de la rédaction et de rédacteur en chef dudit journal.

    X.________ (le demandeur) est administrateur-délégué des demanderesses n° 1 et n° 2, dont il est l'animateur depuis 1993. Il avait exercé pendant de nombreuses années les fonctions de directeur de l'Agefi.

    Le Temps SA (défenderesse n° 1) est une société anonyme qui édite le quotidien du même nom. Son capital-actions est détenu à concurrence de 82,6% par ER Publishing SA, société dont le capital-actions est lui-même propriété d'Edipresse Publications SA (défenderesse n° 4) et Ringier SA (défenderesse n° 6) pour moitié chacune.

    Le journal Le Temps offre aussi bien de l'information de toute nature (politique, sociale, économique, culturelle, etc.) que des espaces publicitaires. Il porte cependant une attention particulière à l'information économique et financière. Les espaces publicitaires mis à disposition par ce quotidien concernent principalement les annonces financières, les offres d'emploi pour cadres et la publicité pour produits de luxe. Il est destiné à un lectorat de formation supérieure.

    En janvier 2004, le directeur de la publication du Temps était Z.________ (défendeur n° 2), lequel assumait ainsi la responsabilité des articles rédigés par les journalistes de ce quotidien.

    La défenderesse n° 4 est une filiale de Presse Publications SA, elle-même détenue à 100% par Edipresse SA; elle regroupe l'essentiel de l'activité d'édition de périodiques du groupe Edipresse. La défenderesse n° 4 édite en particulier les quotidiens Le Matin et 24 Heures, ainsi que divers magazines.

    La défenderesse n° 6 est une société qui regroupe les activités du groupe Ringier; en Suisse romande, elle publie les magazines Edelweiss, l'Hebdo, l'Illustré, TV8 et Montres Passion.

    Tribune de Genève SA (défenderesse n° 3), dont est actionnaire Edipresse Publications SA, est une société qui édite le quotidien La Tribune de Genève.

    Y.________ (défendeur n° 5) est rédacteur en chef du magazine Bilan et, partant, responsable des articles rédigés par les journalistes de ce périodique. Bilan est édité par Agedip S.A., dont la défenderesse n° 4 est actionnaire.

    B.

    Le 16 janvier 2004, le journal Le Temps a publié, sous la plume de D.________, un article intitulé: «"L'Agefi", cible de toutes les spéculations», portant comme sous-titre "Le quotidien économique va perdre son directeur de la rédaction et son rédacteur en chef. Son actionnaire réfute toutes les rumeurs sur un état de crise".

    Après avoir évoqué le départ de B.________ et de C.________, l'article se poursuit, avec le sous-titre "Des projets malmenés", de la façon suivante:

    "Quand on connaît l'homme et le style X.________, je ne suis pas surpris, commente un ancien cadre du groupe. Il y avait des désaccords réguliers en séance de direction. Plus que la nouvelle formule, ce sont certainement les questionnements sur la stratégie du groupe qui les ont conduits à partir. Ces dernières années, plusieurs projets comme le magazine Futur(e)s, celui des services financiers Agefi Classe ou le rachat de 47% (1,24 million de francs) de Success & Carreer (organisation de forum d'étudiants et édition de guides) ont été des échecs". Le premier a été arrêté après 8 numéros. Selon le rapport de gestion 2002, l'aventure aurait coûté 3,2 millions, les provisions effectuées aux bilans 2000 et 2001 s'élevant à 7,11 millions. Le deuxième a été liquidé il y a plusieurs mois. Le contrat du troisième a été résilié et une plainte déposée contre les anciens propriétaires pour escroquerie

    .

    L'article aborde ensuite la question du tirage de l'Agefi, avec le sous-titre "Quel réel tirage?", dans ces termes:

    On rappellera aussi que l'Agefi ne fait pas officialiser son tirage par l'institut REMP. "Cela ne sert à rien, assène X.________. Seules comptent les enquêtes qualitatives de la REMP, auxquelles nous souscrivons". L'Agefi annonce un tirage de 10'191 exemplaires. Certaines sources extérieures estiment le tirage vendu entre 5'000 et 6'000 exemplaires seulement. Son lectorat quotidien est de 20'000 personnes, dont 6'000 leaders romands.

    Une situation qui nourrit les interrogations sur la valeur réelle du groupe entré en Bourse en juillet 1999. «Une tradition de la part des "amis" de X.________, sourit A.________. C'est toutefois le seul journal coté en Bourse; il ne bénéficie pas d'actionnaires puissants dans les poches desquels puiser pour éponger ses pertes (ndlr: allusion au Temps)» ».

    Après avoir précisé que "l'Agefi a toujours été dans les chiffres noirs" et décrit l'évolution du cours de l'action Agefi Groupe SA ainsi que la composition de l'actionnariat, l'article se termine sur la valeur de cette société:

    La capitalisation boursière du groupe s'élève ainsi à 32,8 millions. Malgré les démentis de X.________ ("Je n'ai jamais été et ne suis en aucune manière en train de vendre le groupe") un potentiel repreneur aurait mandaté une évaluation indépendante. Celle-ci aurait articulé une valeur entre 5 et 7 millions. "Ce sont des conneries, s'emporte X.________. Le marché sait ce qu'il décide, le groupe vaut ce qu'il valait lors de son entrée en Bourse, une opération alors conduite par Credit Suisse First Boston".

    Interrogé par Le Temps, un analyste, spécialiste des médias, rappelle qu'il s'agit d'un petit groupe de presse dont la fluidité des actions est très faible. Même si le groupe est plus cher que d'autres au rachat, notre interlocuteur ne croit pas à une possible OPA, sauf décision de X.________ de vendre ses parts. Il relève également que si, à l'instar d'autres médias, l'Agefi a réalisé des investissements "stupides" dans les années 1999 et 2000, il a très vite réagi. Dépendant de la publicité financière, le groupe a subi de plein fouet la crise des deux dernières années; là aussi sa direction a su très vite réagir en réduisant le personnel (de 166 à 84) et ses coûts. La croissance économique en Suisse pointant du nez, il devrait très rapidement en profiter. Ce spécialiste propose une recommandation "neutre" sur le titre: Comprendre: ni vente ni achat.

    .

    C.

    Dans son édition de mars 2004, le magazine Bilan a publié, sous forme de portrait, un article intitulé "X.________ La dernière culbute?", signé par E.________.

    L'article est introduit de la manière suivante:

    "Le propriétaire de l'Agefi s'est enrichi de 25 millions de francs lors de l'entrée en bourse de son journal en 1999. Après la période faste, le self-made-man qui a entrepris des diversifications malheureuses recherche une solution à sa succession.".

    Dans une rubrique annexe à l'article, intitulée "Pauvre parmi les riches", il est expliqué que X.________ est d'origine modeste. Il y est indiqué notamment ce qui suit au sujet de sa personnalité:

    A cause peut-être de cette différence d'origine sociale qu'il tient à faire sentir, l'intéressé entretient un humour "pied dans le plat" qui peut parfois faire tache. Genre: "J'ai été une fois accusé de viol... de la loi!" avec un grand blanc en guise de trois petit points. Grand séducteur, "n'écrivez pas homme à femmes, je déteste", X.________ a une vie amoureuse active. "Il a une conception islamiste de la femme" s'inquiète un proche. Ce que l'intéressé dément

    .

    L'article débute en relatant, dans les termes qui suivent, les circonstances de l'acquisition par X.________ du journal l'Agefi:

    "Désormais sans partenaire, auprès de qui X.________ peut-il se retourner pour trouver l'argent nécessaire pour le rachat de l'Agefi ? Il n'a que 200'000 francs d'économies et ne voit pas quelle banque peut, en quelques heures, lui prêter une telle somme. Entre 2 et 3 millions selon nos estimations. Il tente alors sa chance à la Banque Cantonale Vaudoise. Son bagout fera le reste. Le fax de confirmation parvient le lundi matin à 11 heures à Paris. Pari gagné.

    L'anecdote révèle la personnalité et la vie de X.________, de cet homme qui a connu des années de haute voltige dans le domaine de la presse et de l'édition".

    L'article se poursuit en retraçant l'entrée en...

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