Arrêt nº 2A.118/2003 de IIe Cour de Droit Public, 13 juillet 2004

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Date de Résolution13 juillet 2004
SourceIIe Cour de Droit Public

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130 II 425

38. Extrait de l'arrêt de la IIe Cour de droit public dans la cause X. SA contre Office cantonal de l'inspection et des relations du travail ainsi que Tribunal administratif du canton de Genève (recours de droit administratif)

2A.118/2003 du 13 juillet 2004

Faits à partir de page 426

BGE 130 II 425 S. 426

BGE 130 II 425 S. 427

Active dans toute la Suisse, la société X. SA (ci-après: la Société) emploie une quinzaine de "techniciens-vérificateurs" (ci-après également cités: les employés ou les collaborateurs) qui sont chargés de vendre des extincteurs incendie et d'en assurer le service après-vente et la maintenance (instructions et conseils d'utilisation; révision, entretien et recharge des appareils ...). Cette activité implique de fréquentes et régulières visites des clients, lesquels sont attribués et répartis entre les différents collaborateurs selon un critère géographique, en ce sens que chacun d'eux est en charge d'une région déterminée; à titre d'exemple, deux collaborateurs se partagent la clientèle des cantons de Vaud et de Genève. Pour accomplir leur tâche, les collaborateurs ont à leur disposition des véhicules d'entreprise qu'ils utilisent à raison de trois à quatre heures par jour pour leurs déplacements; bien qu'ils conservent en permanence ces véhicules à leur domicile, ils ne doivent pas, sauf accord préalable de l'employeur, les utiliser à des fins privées. Tenus à un horaire de travail de quarante heures par semaine, les techniciens-vérificateurs ne se rendent que de manière occasionnelle au siège de la Société, afin d'y suivre des séances de formation ou pour régler des problèmes d'ordre administratif. Ils remettent à l'employeur des rapports de travail journaliers qui servent aussi bien à facturer les prestations aux clients qu'à contrôler leur activité et à calculer la part de leur salaire variable, composée de commissions sur les ventes et les contrôles effectués.

Le 8 janvier 2002, la Société a installé sur ses véhicules un système de localisation satellite GPS (ci-après désigné: le système de localisation) d'un coût de 40'000 fr.; les collaborateurs avaient préalablement été informés de cette mesure. Le 31 janvier suivant, un technicien-vérificateur a saisi l'Office cantonal genevois de l'inspection et des relations de travail (ci-après: l'Office cantonal) d'une plainte, au motif qu'il se sentait constamment surveillé par l'employeur depuis l'installation du système de localisation, si bien qu'il estimait que ce dernier était attentatoire à sa personnalité.

Après avoir entendu son directeur ainsi que plusieurs techniciens-vérificateurs, l'Office cantonal a ordonné à la Société, par décision du 5 avril 2002, de retirer de ses véhicules le système de localisation. En bref, il a considéré que ce dispositif était contraire à l'art. 26 de l'ordonnance 3 du 18 août 1993 relative à la loi sur le travail (OLT 3; RS 822.113; ci-après: ordonnance 3), car il mettait en danger la santé psychique des travailleurs en permettant "une surveillance systématique, durable, ciblée et préventive de (leurs) comportements."

La Société a recouru contre la décision précitée de l'Office cantonal, en faisant valoir que le système de localisation ne tombait pas sous le coup de l'interdiction prévue à l'art. 26 OLT 3, car il n'était pas destiné à surveiller le comportement des travailleurs, mais poursuivait les objectifs suivants:

- équiper les véhicules d'entreprise d'un système antivol efficace;

- rationaliser la gestion du travail et optimaliser les temps de déplacement des collaborateurs;

- contrôler l'activité des collaborateurs (en particulier leurs horaires de travail et, dans une certaine mesure, la qualité de leur travail)."

LaBGE 130 II 425 S. 428

Société relevait que l'introduction du système de localisation avait permis de mettre à jour et de faire cesser certaines irrégularités ou abus de la part de ses employés (non-respect des horaires de travail, fiches de travail fantaisistes ...) ainsi que d'optimaliser leurs temps de déplacement et d'intervention, ce qui avait conduit à une augmentation de la productivité de 38 %. Elle insistait également sur le fait que la localisation en temps réel des véhicules n'était possible que "sur requête" à une centrale de télésurveillance basée en Belgique, mais non "en permanence", de sorte qu'il était faux de prétendre, comme le faisait l'Office cantonal, que son système permettait une surveillance ciblée et permanente des employés.

L'Office cantonal a maintenu que le système de localisation visait en priorité à surveiller le comportement des travailleurs sur leur lieu de travail, en ajoutant que, dans la mesure où il était destiné à contrôler leur rendement, il ne respectait pas le principe de la proportionnalité, car ce but pouvait être atteint par d'autres procédés moins intrusifs, comme par exemple la remise de fiches ou de rapports d'activité journaliers contresignés par les clients visités.

Par arrêt du 11 février 2003, le Tribunal administratif du canton de Genève a rejeté le recours, en admettant les arguments de l'Office cantonal.

Agissant par la voie du recours de droit administratif, la Société demande au Tribunal fédéral d'annuler l'arrêt précité et de "valider en tant que de besoin le système GPS mis en place au sein de l'entreprise X. SA". Le recours a été admis et l'affaire renvoyée au Tribunal administratif pour instruction complémentaire et nouvelle décision dans le sens des considérants.

Extrait des considérants:

Extrait des considérants:

2. Dans un premier moyen, la recourante fait grief à la juridiction cantonale d'avoir violé l'art. 6 par. 1 CEDH en rejetant sa requête tendant à la tenue d'une audience publique. Elle soutient également qu'en ne donnant pas suite à sa demande d'auditionner l'auteur du rapport mettant en cause son système de localisation, les premiers juges auraient méconnu son droit d'être entendue (art. 29 al. 2 Cst.), en particulier son droit à participer à l'administration des preuves.

2.1 Le droit d'être entendu découlant de l'art. 29 al. 2 Cst. ne comprend pas le droit d'être entendu oralement (cf. ATF 125 I 209 consid. 9b p. 219; ATF 122 II 464 consid. 4c p. 469), ni celui d'obtenir BGE 130 II 425 S. 429

l'audition de témoins. En effet, l'autorité peut mettre un terme à l'instruction lorsque les preuves administrées lui ont permis de former sa conviction et que, procédant d'une manière non arbitraire à une appréciation anticipée des preuves qui lui sont encore proposées, elle a la certitude que ces dernières ne pourraient l'amener à modifier son opinion (cf. ATF 125 I 127 consid. 6c/cc in fine p. 135, ATF 124 I 417 consid. 7b p. 430; ATF 124 I 208 consid. 4a p. 211/212, ATF 124 I 274 consid. 5b p. 285; ATF 115 Ia 8 consid. 3a p. 11/12; ATF 106 Ia 161 consid. 2b p. 162).

En l'espèce, le point de savoir si les premiers juges auraient dû, avant de statuer, entendre le directeur de la Société ou procéder à l'audition de témoins en vue d'éclaircir certains faits, est une question qui n'a pas de portée propre par rapport au grief tiré d'une constatation inexacte des faits et d'une mauvaise appréciation des preuves. Il se justifie donc de l'examiner avec le fond du litige (cf. infra consid. 6.4-6.6).

2.2 Au titre des exigences minimales de procédure, l'art. 6 par. 1 CEDH garantit notamment le droit à la tenue d'une audience publique lorsque sont en jeu des "droits et obligations de caractère civil" (cf. ATF 127 II 306 consid. 5 p. 309 et les arrêts cités).

La notion de "droits et obligations de caractère civil" est autonome: l'art. 6 CEDH ne donne par lui-même aucun contenu matériel déterminé dans l'ordre juridique des Etats contractants. Cette disposition implique l'existence d'une "contestation" réelle et sérieuse; elle peut concerner aussi bien l'existence même d'un droit que son étendue ou ses modalités d'exercice. L'issue de la procédure doit être directement déterminante pour le droit en question. Un lien ténu ou des répercussions lointaines ne suffisent pas à faire entrer en jeu l'art. 6 par. 1 CEDH (cf. ATF 127 I 115 consid. 5b p. 120/121 et les arrêts cités). En définitive, le droit à un tribunal ne vaut que pour les "contestations" relatives à des "droits et obligations de caractère civil" que l'on peut prétendre, au moins de manière défendable, reconnus en droit interne, qu'ils soient ou non protégés de surcroît par la Convention; bien que de caractère autonome, cette notion implique donc l'examen de la prétention selon le droit interne (ATF 127 I 115 consid. 5b p. 121).

BGE 130 II 425 S. 430

Par contestation, au sens de l'art. 6 par. 1 CEDH, il faut entendre tout litige surgissant entre deux particuliers ou entre un particulier et une autorité étatique, par exemple lorsque cette dernière supprime ou restreint l'exercice d'un droit. Il en va notamment ainsi lorsque sont invoqués des droits de nature privée, telles la garantie de la propriété et la liberté économique (voir les références citées in FROWEIN/PEUKERT, EMRK-Kommentar, 2e éd., n. 19 et 21 ad art. 6 CEDH). L'art. 6 par. 1 CEDH ne vise donc pas seulement les contestations de droit privé au sens étroit - à savoir les litiges entre les particuliers ou entre les particuliers et l'Etat agissant au même titre qu'une personne privée -, mais aussi les actes administratifs adoptés par une autorité dans l'exercice de la puissance publique, pour autant qu'ils produisent un effet déterminant sur des droits de caractère civil; de ce point de vue également, sont décisifs le contenu du droit matériel et les effets que lui confère la législation nationale (ATF 125 I 209 consid. 7a p. 215/216 et les références citées).

2.3 La décision attaquée a été prise sur la base de l'art. 26 OLT 3 en vue de protéger la santé physique et psychique des travailleurs (cf. infra consid. 3.3); elle a pour effet d'interdire à la Société d'équiper ses véhicules du système de localisation dont elle a fait l'acquisition pour un montant de 40'000 fr.

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