Arrêt nº 1A.86/2004 de Ire Cour de Droit Civil, 8 juin 2004

Conférencierpublié
Date de Résolution 8 juin 2004
SourceIre Cour de Droit Civil

Text Publié

Chapeau

130 II 329

32. Extrait de l'arrêt de la Ire Cour de droit public dans la cause Société E. contre Ministère public de la Confédération (recours de droit administratif)

1A.86/2004 du 8 juin 2004

Faits à partir de page 330

BGE 130 II 329 S. 330

Le 17 septembre 2003, le Parquet général de la Fédération de Russie a remis aux autorités suisses une demande d'entraide établie le 15 août 2003 par le juge d'instruction chargé des affaires de grande importance auprès du Parquet général, Salavat Kounakbaéivitch Karimov. Fondée sur la Convention européenne d'entraide judiciaire en matière pénale (CEEJ; RS 0.351.1), conclue à Strasbourg le 20 avril 1959 et entrée en vigueur le 20 mars 1967 pour la Suisse et le 9 mars 2000 pour la Russie, la demande était présentée pour les besoins de la procédure pénale ouverte contre le ressortissant russe G., des chefs d'escroquerie, d'abus de confiance et d'insoumission à une décision judiciaire, commis dans le cadre d'un groupe organisé. En tant que dirigeant de la banque Menatep (ci-après: Menatep), G. se serait, avec l'aide de Platon Leonidovitch Lebedev, approprié frauduleusement un lot d'actions du capital de la société A., au détriment de l'Etat, afin de prendre le contrôle de la société. G. aurait refusé de se soumettre à l'injonction judiciaire de restituer le lot d'actions en question. Entre 1994 et 2002, il aurait organisé avec ses comparses la vente, par A. et des intermédiaires, de grandes quantités de concentré d'apatite (phosphate de calcium utilisé comme engrais) aux sociétés suisses F. et O., à un prix inférieur à celui du marché (de l'ordre de 30 USD par tonne métrique). F. et O. auraient revendu l'apatite à l'étranger, au prix du marché (de l'ordre de 40 à 78 USD par tonne métrique). Les autorités requérantes soupçonnaient que les fonds ainsi détournés avaient été blanchis en Suisse. La demande tendait à la remise de la documentation concernant F. et O., à l'audition de leurs dirigeants, à la saisie et à la remise de la documentation bancaire relative aux opérations décrites, ainsi qu'à la détermination du sort des fonds.

Le 31 octobre 2003, l'Office fédéral de la justice (ci-après: l'Office fédéral) a délégué au Ministère public de la Confédération l'exécution de la demande, laquelle a été complétée à plusieurs reprises.

BGE 130 II 329 S. 331

Le 14 novembre 2003, le Parquet général de la Fédération de Russie a précisé qu'était aussi impliqué dans le blanchiment des fonds Mikhail Borissovitch Khodorkovski, fondateur du groupe Menatep. Celui-ci détenait la totalité du capital-actions de plusieurs sociétés mêlées à l'affaire, dont E. Il était signalé également que Menatep était titulaire de différents comptes bancaires, à Genève et Zurich.

Selon le complément du 18 novembre 2003, Khodorkovski avait été inculpé, dans le même contexte de faits, pour escroquerie, abus de confiance, insoumission à une décision judiciaire, appropriation, soustraction d'impôt et faux dans les titres, commis dans le cadre d'un groupe organisé. Khodorkovski aurait dirigé l'opération consistant à mettre la main sur le capital de A., ainsi que les ventes à F. et O. Avec Lebedev, Khodorkovski aurait obtenu frauduleusement des subventions pour un montant total de 407'120'540.28 RUR. Pour le blanchiment des fonds provenant des opérations délictueuses mises à la charge des prévenus, ceux-ci se seraient servis de sociétés dépendant de Menatep, parmi lesquelles Yukos Universal Ltd (ci-après: Yukos), active dans la production et le commerce du pétrole. La demande tendait à la saisie de la documentation relative à plusieurs comptes détenus par les différentes sociétés contrôlées par Menatep et Yukos, dont E., ainsi que par les personnes physiques associées aux affaires de Khodorkovski.

Le 12 mars 2004, l'autorité requérante a demandé qu'un représentant du Parquet général soit autorisé à participer à l'exécution des actes d'entraide. Elle a également produit une ordonnance rendue le 12 mars 2004 par le juge du district de Basmany de la ville de Moscou. Des actions civiles avaient été formées devant ce tribunal pour obtenir de Khodorkovski et consorts le paiement d'un montant total de 127'000'000'000 RUR, en relation avec l'appropriation des actions de A. A titre de garanties, le juge a ordonné la saisie des fonds déposés sur tous les comptes détenus par les prévenus et les sociétés impliquées, dont E., ainsi que par plusieurs tiers, auprès de divers établissements bancaires en Suisse.

Selon le complément du 19 mars 2004, Yukos aurait vendu à des sociétés qu'elle contrôlait du pétrole et des produits dérivés à des prix inférieurs à celui du marché. Les destinataires auraient revendu ces produits à leur véritable prix. Le butin, correspondant à la différence de prix, aurait été blanchi en Suisse. Au complément était jointe une décision rendue le 18 mars 2004 par le juge du district de Basmany, ordonnant le séquestre de comptes ouverts en Suisse, pour les besoins de la procédure pénale en cours. Ce complément mentionne que E. aurait servi au blanchiment du produit des délits mis à la charge de Khodorkovski et de ses comparses.

LeBGE 130 II 329 S. 332

25 mars 2004, le Ministère public a rendu une décision d'entrée en matière ordonnant le séquestre d'un montant équivalent à 2'244'179'505.14 CHF déposé sur le compte n° g ouvert au nom de E. auprès de la banque U.

Le Tribunal fédéral a admis le recours de droit administratif formé par E. contre cette décision, et annulé celle-ci.

Extrait des considérants:

Extrait des considérants:

2. Aux termes de l'art. 80e let. b ch. 1 de la loi fédérale du 20 mars 1991 sur l'entraide internationale en matière pénale (EIMP; RS 351.1), peuvent faire l'objet d'un recours de droit administratif les décisions incidentes antérieures à la décision de clôture, en cas de préjudice immédiat et irréparable découlant de la saisie d'objets ou de valeurs. Il incombe au recourant d'indiquer, dans l'acte de recours, en quoi consiste le dommage et de démontrer que celui-ci ne serait pas réparé par un prononcé annulant, le cas échéant, la décision de clôture à rendre ultérieurement. Quant au préjudice à prendre en considération, il peut s'agir de l'impossibilité de satisfaire à des obligations contractuelles échues (paiement de salaires, intérêts, impôts, prétentions exigibles, etc.), du fait d'être exposé à des actes de poursuite ou de faillite, ou la révocation d'une autorisation administrative, ou de l'impossibilité de conclure des affaires sur le point d'aboutir. La seule nécessité de faire face à des dépenses courantes ne suffit pas, en règle générale, à rendre vraisemblable un préjudice immédiat et irréparable au sens de l'art. 80e let. b ch. 1 EIMP (ATF 128 II 353 consid. 3 p. 354).

BGE 130 II 329 S. 333

La recourante est une filiale de Menatep. Elle est titulaire du compte n° g, ouvert le 29 novembre 2002, et dont notamment Khodorkovski et Lebedev sont les ayants droit. En 2003, Yukos a envisagé une fusion avec la société russe J. Pour le financement de cette opération, Yukos a emprunté à la banque Q. à Paris un montant de 1'600'000'000 USD, aux termes d'un contrat passé le 30 septembre 2003 (ch. 2.1 du contrat). Le 3 octobre 2003, la recourante a confié à la banque U. le mandat de fournir à la banque Q. un montant "collatéral" équivalent à celui du prêt accordé (art. 2 let. c du contrat). L'exécution de ce mandat a fait l'objet de trois accords entre la banque Q. et la banque U. ("Risk Participation Agreement", "Deed of Indemnity" et "Charge Over Deposit Accounts"), sur la base desquels la banque U. a remis à la banque Q. le montant convenu de 1'600'000'000 USD. Comme garantie, la recourante a versé sur le compte n° g un montant total de 1'757'350'000 USD (art. 3 let. b du contrat), qui correspond à celui faisant l'objet de la saisie contestée.

Au titre du dommage immédiat et irréparable, la recourante expose que l'immobilisation du montant saisi l'oblige à payer à la banque U., selon l'art. 26 let. b du contrat du 3 octobre 2003, une rémunération annuelle de 26'121'657.50 USD qu'au demeurant le séquestre l'empêcherait d'honorer. A cela s'ajouterait que l'impossibilité de mettre à disposition le montant saisi pourrait amener la banque U. et la banque Q. à réaliser les droits de gage...

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