Arrêt nº 4C.375/2002 de Ire Cour de Droit Civil, 2 mai 2003

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Date de Résolution 2 mai 2003
SourceIre Cour de Droit Civil

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129 III 426

72. Extrait de l'arrêt de la Ire Cour civile dans la cause X. AG contre Y. SA (recours en réforme)

4C.375/2002 du 2 mai 2003

Faits à partir de page 427

BGE 129 III 426 S. 427

A.

A.a X. AG, dont le siège est à A., appartient à un groupe de sociétés actif dans le domaine de l'optique. Elle dispose de nombreux points de vente en Suisse.

Y. SA, dont le siège est à B., est l'un des principaux concurrents de X. AG. Implantée dans toute la Suisse, elle pratique une politique commerciale similaire en matière de bas prix.

A.b Le 28 mars 2001, "Z.", magazine d'information à l'intention des consommateurs, a publié, sous le titre (traduction française): "Lunettes: politique opaque des prix des opticiens", une étude comparative des prix pratiqués dans le secteur de la lunetterie. La politique en matière de prix d'une douzaine d'opticiens, dont les deux sociétés susmentionnées, a été examinée sur la base d'un échantillonnage de six modèles de lunettes (quatre montures de lunettes optiques et deux paires de lunettes de soleil) et de deux modèles de verres optiques. Les résultats obtenus ont été discutés dans une partie rédactionnelle, puis présentés sous la forme d'un tableau comparatif. "Z." a relevé que X. AG n'était pas toujours le concurrent le plus avantageux, puisque, dans quatre cas (trois montures et une paire de lunettes de soleil), Y. SA s'était révélée meilleur marché grâce à des offres promotionnelles limitées dans le temps.

Le 9 mai 2001, "Z." a publié un rectificatif intitulé "Falsche Preisangaben". Il y était précisé qu'un opticien avait livré de faux renseignements quant aux prix qu'il pratiquait. Tel n'était pas le cas des deux sociétés précitées. L'article soulignait, à leur sujet, que Y. SABGE 129 III 426 S. 428

était en mesure, par des actions limitées dans le temps, d'offrir des prix très avantageux mais que, lorsque l'on comparait les prix dits normaux, X. AG faisait presque toujours la meilleure offre pour la plupart des modèles comparés.

A.c Entre le 20 mai et le 6 juin 2001, Y. SA a fait paraître, dans plusieurs journaux suisses, avec l'autorisation expresse de "Z." donnée le 7 mai 2001, un article publicitaire intitulé (en français): "Optique: les résultats d'une étude comparative de prix". L'article reprenait partiellement (quatre opticiens sur douze) le tableau publié par "Z." mais ne faisait aucune référence au rectificatif. Une lettre "c)", écrite en petits caractères après certains des chiffres de la ligne du tableau concernant Y. SA, renvoyait à l'une des quatre notes figurant au pied du tableau, qui était ainsi libellée: "c) Soldes à demi-prix. Action limitée dans le temps". Le tableau publié par Y. SA comportait une colonne, intitulée "Total", qui faisait ressortir, par des chiffres en gros caractères, le prix global de tous les articles comparés. Dans le texte de sa publicité, Y. SA se référait à l'enquête réalisée par "Z." pour prétendre être meilleur marché que ses concurrents ("Y., leader suisse du marché de l'optique, se révèle être le moins cher"). Elle expliquait cela par le fait que les collections des grandes marques qu'elle vendait sortaient en moyenne deux à quatre fois par an, si bien que "les collections démodées" pouvaient faire l'objet de soldes à moitié prix. L'annonce vantait, pour le surplus, la qualité du conseil donné et de l'accueil réservé aux clients de la société, ainsi que la rapidité des services qui leur étaient proposés.

X. AG a mis Y. SA en demeure de renoncer immédiatement à cette campagne publicitaire qu'elle jugeait trompeuse et mensongère. Face au refus de sa concurrente d'obtempérer, elle a requis des mesures provisionnelles visant à faire cesser ce qu'elle considérait être de la concurrence déloyale. Statuant le 6 juin 2001, la Cour de justice du canton de Genève a rejeté la requête de mesures provisionnelles au motif que le comportement de Y. SA ne pouvait être considéré comme déloyal.

A.d Entre le 30 mars et le 18 novembre 2001, X. AG a également fait paraître, dans divers quotidiens suisses, des annonces publicitaires. Elle y soulignait notamment ce qui suit: "Chez X., vous ne payez jamais trop. Les lunettes de marque vous sont proposées à moitié prix. Celui-ci est, en fait, 70% au-dessous du niveau du marché. Acheter ailleurs, c'est payer plus du double! ...". Cette publicité ne se référait pas à l'analyse comparative réalisée par "Z.".

B.- Le 3 septembre 2001, X. AG a assigné Y. SA devant la Cour de justice genevoise à qui elle a demandé de:BGE 129 III 426 S. 429

"1. Constater le caractère illicite de l'article publicitaire de Y. SA

dans la mesure où il affirme:

Selon une enquête parue le 28 mars dernier dans la revue "Z.",

magazine d'information à l'intention des consommateurs, Y., leader

suisse du marché de l'optique, se révèle être le moins cher.

Cette entreprise suisse évite de ce fait les intermédiaires et

propose ainsi des verres de qualité à des prix compétitifs, de même

qu'un service rapide et sur mesure.

En effet, il apparaît que sur les 8 produits identiques testés, soit

4 montures optiques de marque, 2 paires de verres et 2 lunettes de

soleil, Y. est en réalité moins cher que ses concurrents. [...] En

résumé, lorsque l'on compare des produits comparables et que l'on

tient compte de l'ensemble des prestations, le leader du marché

suisse n'occupe pas cette position par hasard, mais bien parce qu'il>

est globalement le meilleur.

2. Faire interdiction à Y. SA d'alléguer, dans ses publicités et

autres publications, des phrases telles que:

Y., leader du marché suisse du marché de l'optique, se révèle être le

moins cher.

Y. est en réalité moins cher que ses concurrents ... En résumé,

lorsque l'on compare des produits comparables et que l'on tient compte

de l'ensemble des prestations, le leader du marché suisse n'occupe pas

cette position par hasard, mais bien parce qu'il est globalement le

meilleur.

Et ceci sous les menaces des peines prévues à l'art. 292 CPS, soit des

arrêts et de l'amende.

3. Ordonner la publication du dispositif de l'arrêt à prononcer par Y.

SA et à ses frais à deux reprises dans les journaux ...

..."

La défenderesse a conclu au rejet de la demande.

Statuant par arrêt du 11 octobre 2002, la Chambre civile de la Cour de justice a débouté X. AG des fins de sa demande.

C.- Parallèlement à un recours de droit public qui a été rejeté, dans la mesure où il était recevable, par arrêt séparé de ce jour, la demanderesse interjette un recours en réforme au Tribunal fédéral. Elle y reprend les conclusions au fond qu'elle avait soumises aux premiers juges.

La défenderesse propose le rejet du recours.

Extrait des considérants:

Extrait des considérants:

2.

2.1 Dans une argumentation subsidiaire critiquée par la demanderesse, la Cour de justice considère que celle-ci ne saurait faire griefBGE 129 III 426 S. 430

à la défenderesse d'avoir adopté un comportement prétendument déloyal dès lors qu'elle a fait preuve de déloyauté dans sa propre pratique publicitaire. Aussi lui dénie-t-elle, en vertu du principe de la bonne foi, la qualité pour agir en justice contre sa concurrente.

Cette argumentation repose sur des données factuelles qui n'ont pas été jugées arbitraires dans l'arrêt rendu séparément ce jour par la Cour de céans sur le recours de droit public connexe exercé par la demanderesse. Elle suffirait à justifier la solution retenue par les juges cantonaux même s'il fallait admettre, contrairement à leur opinion, que la défenderesse a commis des actes de concurrence déloyale. Aussi l'économie de la procédure commande-t-elle d'examiner en premier lieu les critiques dirigées contre cette argumentation subsidiaire, car, si elles se révélaient infondées, le sort du litige s'en trouverait scellé, que l'argumentation principale - elle soulève des problèmes délicats - viole ou non le droit fédéral.

2.2 L'argumentation subsidiaire critiquée correspond à ce qu'il est convenu d'appeler, par référence au droit anglo-saxon, l'objection des "unclean hands" (sur la question, cf., parmi d'autres: CARL BAUDENBACHER, Lauterkeitsrecht, Bâle/Genève/Munich 2001, n. 35 ss ad art. 2 LCD [RS 241]; MARIO M. PEDRAZZINI/FEDERICO A. PEDRAZZINI, Unlauterer Wettbewerb UWG, 2e éd., n. 4.69; JÜRG MÜLLER, in Schweizerisches Immaterialgüter- und Wettbewerbsrecht, vol. V/1, 2e éd., p. 11; SIBYLLE M. WIRTH, Vergleichende Werbung in der Schweiz, den USA und der EG, thèse Zurich 1993, p. 250 ch. 8; pour le droit allemand, voir notamment: ADOLF BAUMBACH/WOLFGANG HEFERMEHL, Wettbewerbsrecht, 22e éd., n. 448 ss ad UWG Einl; JÜRGEN PRÖLSS, Der Einwand der "unclean hands" im Bürgerlichen Recht sowie im Wettbewerbs- und Warenzeichenrecht, in Zeitschrift für das gesamte Handelsrecht und Wirtschaftsrecht 121/1968 p. 35 ss; CHRISTIAN-F. FRIEHE, "unclean hands" und lauterer Wettbewerb, in Wettbewerb in Recht und Praxis 33/1987 p. 439 ss, avec une typologie des cas de "unclean hands"). Cette objection signifie, littéralement, que quiconque a "les mains sales" ne peut pas reprocher à autrui de les avoir dans le même état. En d'autres termes, admettre une telle objection revient à refuser la protection de la loi à celui qui ne la respecte pas lui-même. C'est imputer au demandeur une attitude contraire aux règles de la bonne foi et un abus manifeste de son droit d'agir en justice (art. 2 CC). Certes, un tel comportement ne rend pas licite la violation du droit par le défendeur, mais il a un effet paralysant en ce sens qu'il prive le demandeur de la possibilité de faire sanctionner cette violation par le juge.

BGE 129 III 426 S. 431

Il n'existe pas de règle générale voulant que seul celui qui respecte la loi puisse en réclamer le respect (cf. HANS MERZ, Commentaire bernois, n. 582 ss ad art. 2 CC). Aussi la jurisprudence fédérale exclut-elle de longue date la susdite objection, même si elle n'utilise pas l'expression qui la caractérise ("unclean hands"). Elle s'en est expliquée dans l'arrêt publié auxATF 81 II 65 consid. 4 et...

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