Arrêt nº 5C.265/2002 de IIe Cour de Droit Civil, 1 avril 2003

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Date de Résolution 1 avril 2003
SourceIIe Cour de Droit Civil

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129 III 257

43. Extrait de l'arrêt de la IIe Cour civile dans la cause X. contre dame X. (recours en réforme)

5C.265/2002 du 1er avril 2003

Faits à partir de page 258

BGE 129 III 257 S. 258

A.- X., né en 1960, et dame X., née en 1965, se sont mariés en 1990 sous le régime de la séparation de biens. Après avoir cessé la vie commune en 1995, ils ont réglé en 1997, à l'amiable et par écrit, les modalités de cette séparation. Ils ont ainsi convenu que la garde de leurs trois filles - nées respectivement en 1991, 1992 et 1994 - serait assumée par l'épouse et que le mari bénéficierait d'un très large droit de visite. Le mari s'est engagé à verser à son épouse une somme mensuelle de 10'900 fr. nette d'impôts à titre de contribution forfaitaire d'entretien de la famille. Il s'est en outre engagé à prendre en charge l'intégralité des frais d'école privée et de cantine de ses filles, ainsi qu'à accorder à son épouse la jouissance gratuite d'un grand appartement à Genève.

Administrateur et associé de diverses sociétés notamment dans le domaine immobilier, le mari perçoit des revenus très élevés et bénéficie d'une situation financière extrêmement aisée. Son revenu fiscal net pour l'année 1999 se montait à 1'839'668 fr. Dans le cadre de la procédure de divorce, il a déclaré ne pas disposer d'éléments de fortune notables. Sa prestation de libre passage LPP s'élevait à 31'213 fr. au 31 mars 2002.

L'épouse est architecte diplômée, profession qu'elle exerce à temps partiel. Son revenu annuel, comme indépendante, était de 20'000 fr. environ entre 1995 et 1999. Elle est aujourd'hui salariée, à raison de 3'481 fr. 60 net par mois, d'une société anonyme fondée en 2000 dont elle est actionnaire à raison de 49% et où elle travaille à 60%. Sa prestation de libre passage LPP s'élevait à 3'798 fr. 20 au 28 février 2002.

B.- Le 29 novembre 2000, le mari a saisi le Tribunal de première instance du canton de Genève d'une demande unilatérale en divorce, sur le principe duquel l'épouse a déclaré consentir. Les parties ont alors déposé des conclusions communes sur la plupart des effets accessoires de leur divorce. Seul a subsisté un désaccord sur le principe et la quotité de la contribution d'entretien en capital de 350'000 fr. réclamée par l'épouse.

Par jugement du 6 février 2002, le Tribunal de première instance a prononcé le divorce, attribué la garde ainsi que l'autorité parentale sur les enfants à la mère et réservé au père un droit de visite selon les modalités déjà exercées pendant la séparation de fait. Il aBGE 129 III 257 S. 259

en outre donné acte au demandeur de son engagement de verser pour l'entretien de chacun de ses enfants, jusqu'à leur majorité, une contribution mensuelle indexée de 3'440 fr., allocations familiales non comprises, de payer la totalité des frais d'école privée et de cantine de ses enfants ainsi que d'inscrire au Registre foncier, en faveur de la défenderesse, un droit d'habitation valable jusqu'au 31 janvier 2012 sur l'appartement de Genève. Par ailleurs, le Tribunal a donné acte au demandeur de son accord de partager par moitié les prestations de sortie de son institution de prévoyance accumulées pendant la durée du mariage, dont il a ordonné le transfert. Il a en revanche débouté la défenderesse de ses conclusions tendant au paiement d'une contribution d'entretien en capital de 350'000 fr., dont 100'000 fr. qu'elle réclamait "aux fins de pallier aux spectaculaires lacunes de la prévoyance professionnelle de [son mari]".

C.- Par arrêt rendu le 11 octobre 2002 sur appel de la défenderesse, la Chambre civile de la Cour de justice a réformé ce jugement en ce qui concerne le partage des prestations de sortie LPP, ainsi qu'en ce qui concerne les contributions réclamées par la défenderesse au titre de l'entretien après divorce et de la perte de prévoyance.

Constatant d'abord que le demandeur avait expressément accepté en appel qu'un montant de 13'800 fr. (correspondant à la moitié de sa prestation de libre passage sous déduction de la moitié de celle de la défenderesse) fût transféré à la défenderesse en application de l'art. 122 al. 1 CC, la cour cantonale a décidé de fixer à 13'800 fr. le montant auquel la défenderesse avait droit dans ce contexte.

Ensuite, après avoir exposé les raisons pour lesquelles le principe d'une contribution d'entretien en faveur de la défenderesse devait être admis, les juges cantonaux ont estimé qu'une rente de 3'600 fr. par mois jusqu'à ce que la cadette des enfants ait atteint sa majorité représentait une contribution équitable.

S'agissant du montant réclamé par la défenderesse à titre de perte de prévoyance, la cour cantonale a constaté que le statut du demandeur en tant qu'associé de la société en nom collectif X. & Cie avait fait perdre à la défenderesse une part conséquente des avoirs LPP que son mari aurait accumulés au cours du mariage s'il avait cotisé à une institution de prévoyance en tant que cadre supérieur d'une entreprise constituée sous forme de société anonyme. C'était en effet en sa qualité d'administrateur délégué de la société Y. SA (laquelle avait remplacé X. & Cie) que le demandeur était au bénéfice d'une prestation de libre passage de 31'213 fr. Or, pour les époux soumis au régime de la séparation de biens, une compensation des lacunesBGE 129 III 257 S. 260

de prévoyance individuelle se fondait sur l'art. 125 al. 2 ch. 8 CC, la constitution d'une prévoyance vieillesse, survivants et invalidité étant une composante du devoir d'assistance selon l'art. 159 CC et de l'entretien de la famille selon l'art. 163 CC.

Les juges cantonaux ont dès lors fait droit aux conclusions de la défenderesse visant à l'attribution d'un montant supplémentaire de 100'000 fr. (sous déduction des avoirs LPP déjà partagés), qui tenait compte à la fois des propres besoins de la défenderesse en matière de prévoyance (art. 125 al. 2 ch. 8 CC) et, sans exagération (celui-ci ayant été particulièrement discret sur ce point), de la capacité financière du demandeur (art. 125 al. 2 ch. 5 CC). Comme le demandeur disposait d'un patrimoine suffisant pour acquitter le montant réclamé de 100'000 fr. sous forme de capital, la cour cantonale l'a condamné à verser à la défenderesse la somme de 86'200 fr., compte tenu du montant de 13'800 fr. qu'il acceptait de verser à son ex-épouse en application de l'art. 122 CC.

D.- Le Tribunal fédéral a rejeté le recours en réforme du demandeur.

Extrait des considérants:

Extrait des considérants:

3. Le demandeur reproche à la cour cantonale d'avoir excédé les compétences du juge du divorce en matière de prévoyance professionnelle en le condamnant à verser à son ex-épouse, sur la base de l'art. 125 al. 2 ch. 8 CC et en sus de la contribution d'entretien mensuelle, un montant en capital au titre de la prévoyance professionnelle.

3.1 Il découle de l'art. 163 CC que les époux contribuent, chacun selon ses facultés, à l'entretien convenable de la famille, en convenant de la façon dont chacun apporte sa contribution et en tenant compte des besoins de l'union conjugale ainsi que de leur situation personnelle. L'art. 163 CC impose à l'époux qui couvre les besoins économiques de la famille par le revenu de son travail de se constituer une prévoyance appropriée, lui permettant de continuer à pourvoir après sa retraite à l'entretien convenable de la famille (HEINZ HAUSHEER/RUTH REUSSER/THOMAS GEISER, Berner Kommentar, vol. II/1/2, 1999, n. 19 ad art. 163 CC; VERENA BRÄM/FRANZ HASENBÖHLER, Zürcher Kommentar, vol. II/1c, 1998, n. 34 ad art. 163 CC; MARTA TRIGO TRINDADE, Prévoyance professionnelle, divorce et succession, in SJ 2000 II p. 467 ss, 467 n. 4; THOMAS SUTTER/DIETER FREIBURGHAUS, Kommentar zum neuen Scheidungsrecht, Zurich 1999, n. 17 ad art. 125 CC;ATF 116 II 101). Cette prévoyance inclut,BGE 129 III 257 S. 261

outre l'AVS/AI (1er pilier) et selon la nature de l'activité professionnelle et de la couverture nécessaire, la prévoyance professionnelle (2e pilier) et la prévoyance privée sous forme d'épargne individuelle (3e pilier), que celle-ci soit liée (3e pilier A) ou libre (BRÄM/HASENBÖHLER, op. cit., n. 34 ad art. 163 CC; HAUSHEER/REUSSER/GEISER, op. cit., n. 19 ad art. 163 CC).

3.2 Lorsque les conjoints ont adopté une répartition traditionnelle des tâches pendant le mariage, dans lequel l'homme exerçait l'activité professionnelle et constituait au moyen des revenus de cette activité la prévoyance de l'union conjugale, la dissolution de cette union par le divorce laisse l'épouse défavorisée sur le plan de la prévoyance, en raison du rattachement de celle-ci à l'activité lucrative du mari (JACQUES-ANDRÉ SCHNEIDER/CHRISTIAN BRUCHEZ, La prévoyance professionnelle et le divorce, in Le nouveau droit du divorce, publication CEDIDAC 41, 2000, p. 193 ss, 195; SUTTER/FREIBURGHAUS, op. cit., Vorb. ad art. 122-124 CC, n. 10; BRÄM/HASENBÖHLER, op. cit., n. 52 ad art. 159 CC).

C'est pourquoi divers correctifs ont été mis en place par le législateur pour répartir de manière équilibrée les expectatives de prévoyance en cas de divorce. Ainsi, l'art. 122 CC prévoit en principe le partage par moitié des prétentions en matière de prévoyance professionnelle acquises pendant le mariage, l'art. 123 CC prévoyant des exceptions à ce partage par moitié et l'art. 124 CC réglant le cas où les prétentions ne peuvent être partagées (parce qu'un cas de prévoyance est déjà survenu ou pour d'autres motifs).

Ces dispositions prévues par le droit du divorce ne concernent que la prévoyance professionnelle (2e pilier), à l'exclusion du premier et du troisième pilier: depuis la dixième révision de l'AVS, en vigueur depuis le 1er janvier 1997, le sort des expectatives du premier pilier est réglé exclusivement, en cas de divorce également, par l'AVS/AI fédérale; quant au troisième pilier, ce qu'un époux a épargné pendant le mariage - que ce soit dans le cadre de la prévoyance privée libre ou de la prévoyance liée - doit être partagé selon les règles du régime...

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