Arrêt nº 4C.194/2002 de Ire Cour de Droit Civil, 19 décembre 2002

Conférencierpublié
Date de Résolution19 décembre 2002
SourceIre Cour de Droit Civil

Text Publié

Chapeau

129 III 135

24. Extrait de l'arrêt de la Ire Cour civile dans la cause Société d'assurances X. et B. contre A. (recours en réforme)

4C.194/2002 du 19 décembre 2002

Faits à partir de page 136

BGE 129 III 135 S. 136

A.

A.a A. est né au Vietnam en 1957. Il est arrivé en Suisse en 1979 et a obtenu l'asile politique. Ne disposant d'aucune formation particulière, il a suivi des cours de français, langue dans laquelle il peut s'exprimer oralement. Il a épousé une compatriote en 1985 à Genève; une fille est née de cette union, le 22 janvier 1989.

En 1981 ou 1982, A. a été engagé par l'entreprise Y. SA où il a reçu une formation de monteur en transformateurs électriques. Son travail consistait à installer manuellement de lourds composants en fer dans de grands transformateurs. En 1989, le salaire mensuel brut moyen versé à cet employé était de 4'546 fr., compte tenu des allocations familiales, des indemnités pour travail en équipe et de la rémunération d'heures de travail supplémentaires.

A., dont l'épouse travaillait à temps complet, participait activement aux tâches du ménage (nettoyage, cuisine, lessive, courses et garde de l'enfant) en fonction de ses disponibilités découlant de son horaire de travail variable.

BGE 129 III 135 S. 137

A.b Le 14 octobre 1989, un grave accident de la circulation s'est produit sur la route d'Aïre, à Genève, dans lequel ont été impliqués le véhicule conduit par A. et une automobile conduite par B., assurée en responsabilité civile auprès de la société d'assurances X. (ci-après: X.). La responsabilité de cet accident incombe exclusivement à B.

  1. a subi diverses lésions importantes, en particulier un polytraumatisme avec traumatisme crânio-cérébral, une commotion cérébrale, une contusion hépatique et de multiples fractures dont le tiers moyen de l'humérus gauche, l'anneau pelvien, le fémur gauche et la tête du péroné gauche. Ces lésions ont nécessité de nombreuses interventions chirurgicales et le patient n'a pu rentrer chez lui que le 24 novembre 1989.

    A la date du jugement de première instance, soit onze ans après la survenance de l'accident, A. présentait un raccourcissement du fémur gauche de 1 à 1,5 cm, dont la fracture avait consolidé avec un cal vicieux en rotation externe de 30 à 35o, entraînant une nette claudication sur le côté gauche. Par ailleurs, un mauvais fonctionnement de l'articulation de l'épaule gauche subsiste, qui entraîne une limitation modérée des mouvements de cette dernière. Les blessures et les nombreuses interventions chirurgicales subies ont laissé des séquelles cutanées, soit de nombreuses et peu esthétiques cicatrices. Sur le plan neurologique, le traumatisme crânio-cérébral a eu des incidences sur les fonctions cognitives, l'humeur, la capacité de concentration et la résistance à la fatigue de A. qui est devenu constamment triste, voire irritable, et a perdu toute joie de vivre depuis son accident.

  2. arrive à marcher, en boitant, entre une heure et une heure trente, à l'aide d'une canne qu'il tient dans sa main droite. Il éprouve des douleurs permanentes à l'épaule gauche, ainsi que des douleurs au niveau de la fesse gauche, essentiellement lorsqu'il se tient debout et qu'il marche. Par ailleurs, le port de charges d'une certaine importance lui est impossible en raison notamment des lésions subies à l'épaule gauche.

    Ces lésions, troubles et handicaps trouvent tous leur origine dans l'accident du 14 octobre 1989.

    Les experts judiciaires C. et D. ont évalué à 62,7% l'invalidité médico-théorique globale et définitive résultant de ces différentes atteintes à la santé. Pour sa part, le médecin traitant de A. a estimé ce taux à 80%.

    A.c Une tentative de reprise du travail auprès de Y. SA, de même qu'un essai de reconversion dans le secteur de l'horlogerie n'ont pasBGE 129 III 135 S. 138

    abouti, nonobstant la bonne volonté de A. et son désir de travailler.

    Les experts C. et D. ont estimé à 50% la capacité résiduelle de gain de l'intéressé dans une profession ne nécessitant pas le port de charges ni l'exécution de travaux lourds. En revanche, le médecin traitant, de même que le Dr E., commis en tant qu'expert dans un litige opposant A. à une autre assurance, ont conclu à une incapacité de travail totale, quelle que soit la profession envisagée.

    Après son accident, A. a cessé d'assurer sa part des tâches ménagères, lesquelles ont été accomplies intégralement, depuis lors, par son épouse qui a cessé son activité professionnelle à cette fin. Les experts médicaux ont estimé à 30% le degré d'invalidité médico-théorique de A. relativement à ces tâches, tandis que, dans un rapport du 28 janvier 2000, le Centre d'ergothérapie fonctionnelle, mis en oeuvre par le médecin traitant du lésé, a évalué à 88% le degré d'inaptitude de ce dernier à accomplir des tâches ménagères.

    A.d Depuis son accident survenu en octobre 1989, jusqu'à l'expiration de son contrat de travail en février 1992, A. a reçu de son employeur - par le biais des versements de la Caisse nationale suisse d'assurance en cas d'accidents (CNA), de l'assurance-invalidité (AI) et de la Caisse-maladie de Y. SA - un salaire; il a ainsi touché quelque 128'228 fr. durant cette période.

    Dès l'expiration du contrat de travail, Y. SA a cessé de verser un salaire à cet employé. Depuis lors, celui-ci a perçu des rentes de la CNA, de l'AI et de la Caisse de pension de Y. SA.

    Les montants versés à A. depuis la survenance de l'accident dont il a été victime jusqu'à la date retenue pour le calcul du dommage (15 mars 2002) représentent un total de 787'448 fr. S'y ajoute la somme de 40'800 fr. versée par la CNA à titre d'indemnité pour atteinte à l'intégrité corporelle.

    Enfin, X. a versé en date du 14 septembre 1992 la somme de 25'000 fr. à A. à titre d'acompte.

    A.e Depuis l'expiration du contrat de travail qui les liait, Y. SA a cessé de payer un salaire à A. et, par conséquent, de verser la part "employeur" des cotisations à la Caisse de pension de Y. SA, destinées à assurer la retraite du travailleur. Le montant total des cotisations perdues par ce dernier, entre mars 1992 et mars 2002, calculé en fonction d'un taux moyen de 11,15% du salaire brut, s'élève à environ 86'534 fr.

    A.f Pour l'assister dans ses démarches envers son employeur, les assurances sociales et X., A. a eu recours, dès le mois de mai 1992, aux services d'un avocat. Il en est résulté des frais se montant àBGE 129 III 135 S. 139

    34'785 fr. pour l'activité déployée par ce dernier jusqu'au début de l'année 1995.

    B.

    B.a Par demande du 13 juin 1996, A. a assigné X. et B., recherchés solidairement, en paiement d'un montant de 1'222'566 fr. 74 avec intérêts à 5% dès le 14 octobre 1989. Ce montant était réclamé à différents titres (gain manqué, atteinte à l'avenir économique, tort moral et frais d'avocat hors procès). En cours de procès, le demandeur a augmenté ses conclusions et réclamé le paiement de 3'038'635 fr. 21, plus 148'000 fr. à titre d'indemnité de procédure pour ses frais de conseil. Son avocat a sollicité la distraction à son profit, non seulement des dépens de la procédure, mais également de l'indemnité réclamée au titre des frais d'avocat avant procès.

    La défenderesse a conclu au rejet intégral de la demande. De son côté, le défendeur B. s'est borné à contester sa responsabilité dans l'accident du 14 octobre 1989, sans prendre de conclusions.

    B.b Par jugement du 14 septembre 2000, le Tribunal de première instance du canton de Genève a condamné solidairement les défendeurs à payer au demandeur 724'953 fr. d'indemnités diverses ainsi qu'une indemnité de procédure de 35'000 fr. dont il a ordonné la distraction en faveur de l'avocat du demandeur.

    B.c Statuant le 19 avril 2002, sur appel de la défenderesse et appel incident du demandeur, la Chambre civile de la Cour de justice, après avoir annulé le jugement de première instance, a rendu un arrêt dont le dispositif énonce ce qui suit:

    "La Cour

    1. Condamne X. et B. à payer à A., à titre solidaire, les sommes de:

    a) 34'785 fr. avec intérêts à 5% dès le 13 juin 1996;

    b) 99'309 fr. avec intérêts à 5% dès le 31 décembre 1995;

    c) 342'337 fr. avec intérêts à 5% au 15 mars 2002;

    d) 86'534 fr. avec intérêts à 5% dès le 31 décembre 1995;

    e) 172'936 fr. avec intérêts à 5% au 15 mars 2002;

    f) 131'628 fr. avec intérêts à 5% dès le 31 décembre 1995;

    g) 157'860 fr. avec intérêts à 5% au 15 mars 2002;

    h) 29'200 fr. avec intérêts à 5% au 15 mars 2002.

    2. Condamne X. et B., à titre solidaire, en tous les dépens de

    première instance et d'appel, lesquels comprendront une indemnité de

    procédure de 50'000 fr. à titre de participation aux honoraires de

    conseil du demandeur.

    En ordonne la distraction en faveur de Me .. qui affirme qu'ils lui

    sont dus.

    BGE 129 III 135 S. 140

    3. Condamne l'appelante au paiement d'un émolument complémentaire de

    15'000 fr.

    4. Déboute les parties de toutes autres conclusions".

    C.- La défenderesse interjette un recours en réforme. Elle y invite le Tribunal fédéral à annuler les chiffres 1b, 1c, 1d, 1e, 2, 3 et 4 du dispositif de l'arrêt cantonal, à confirmer celui-ci pour le surplus, puis, statuant à nouveau, à annuler le jugement du Tribunal de première instance, à débouter le demandeur de toutes ses conclusions, à le condamner aux frais et dépens et à renvoyer le dossier à la Cour de justice pour qu'elle se prononce sur les frais et dépens de la procédure cantonale.

    Le demandeur conclut au rejet du recours avec suite de frais et dépens. Agissant par la voie du recours joint, il prie le Tribunal fédéral d'annuler les chiffres 1f, 1g, et 2 de l'arrêt attaqué, de condamner solidairement les défendeurs à lui payer 239'040 fr. avec intérêts à 5% dès le 31 décembre 1995 au titre du dommage ménager actuel et 323'297 fr. avec intérêts à 5% dès le 15 mars 2002 en réparation de son dommage ménager futur, de réserver les frais médicaux futurs en relation avec l'accident qui ne seraient pas pris en charge par une assurance et de condamner solidairement les défendeurs à les lui...

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