Arrêt nº 4P.291/2001 de Ire Cour de Droit Civil, 10 septembre 2002

Date de Résolution10 septembre 2002
SourceIre Cour de Droit Civil

Tribunale federale

Tribunal federal

{T 0/2}

4P.291/2001 /ech

Arrêt du 10 septembre 2002

Ière Cour civile

Les juges fédéraux Walter, président de la Cour, Corboz et Favre,

greffière Michellod

A.________ SA,

recourante, représentée par Me Hrant Hovagemyan, avocat,

rue Vallin 2, case postale 5554, 1211 Genève 11,

contre

B.________ SA,

intimée, représentée par Me Gabriel Benezra, avocat,

rue Sénebier 20, case postale 166, 1211 Genève 12,

Chambre civile de la Cour de justice du canton de Genève, case postale 3108, 1211 Genève 3.

art. 9 et 29 al. 2 Cst., appréciation des preuves en procédure civile; déni de justice et droit d'être entendu.

(recours de droit public contre l'arrêt rendu le 12 octobre 2001 par la Chambre civile de la Cour de justice du canton de Genève)

Faits:

A.

B.________ fabrique et commercialise des montres depuis près d'un siècle et demi; elle est notamment active dans le domaine de la montre haut de gamme. A.________ s'occupe de l'achat, de la vente, de la fabrication et de la création d'articles d'horlogerie et de bijouterie de luxe. Son conseil d'administration est présidé par X.________. Cette société n'a jamais fabriqué elle-même les montres qu'elle vend, mais a délégué leur fabrication à divers sous-traitants. Les parties entretiennent des contacts commerciaux depuis de nombreuses années.

Au début des années 1980, dans le cadre de la création de ses propres modèles, A.________ a fait appel à B.________ pour certains travaux sur des mouvements de montres. Par la suite, elle a confié à B.________ le soin de réaliser des modèles de montre haut de gamme qui devaient être commercialisés sous le label "A.________". Les premiers dessins de ces nouvelles créations, notamment le modèle M1, ont été élaborés par les créateurs de la maison X.________ à Paris; la réalisation des dessins et des prototypes a par la suite été remise à B.________. Les premiers modèles M1 ont été livrés par B.________ en juillet 1988. Le développement des modèles s'est fait en contact permanent avec A.________, qui déterminait les critères d'esthétique, les fonctions et le type de mouvement, tandis que la conception technique et qualitative était du ressort de B.________. Les parties se sont rencontrées à de nombreuses reprises entre le 26 juin 1989 et le 12 juillet 1995. Il ressort clairement des procès-verbaux qu'elles avaient en vue la création d'un véritable "tandem".

En juillet 1991, les premiers prototypes de nouveaux modèles de base M2, M3, M4 et M5 ont été soumis à X.________, qui les a acceptés en janvier 1992. Un modèle M6 a également été développé sur la base de l'ancien modèle M1. Enfin, un modèle de base M7 a été approuvé par A.________ en novembre 1993. A.________ a commandé en tout 6'527 montres des nouvelles collections entre le 5 février 1992 et le 5 septembre 1994. La dernière livraison de montres nouveaux modèles remonte au 25 avril 1995.

Dès le début 1995, un litige s'est élevé quant à la qualité des montres fournies par B.________. Suite à divers échanges de courriers, B.________ a, le 17 septembre 1996, mis A.________ en demeure de payer contre livraison 534 montres déjà produites (M2 et M6), de payer les factures ouvertes pour un montant de 399'320,75 fr., et de fournir un plan de réception pour les montres ayant fait l'objet d'une commande ferme et qui devaient encore être produites. Cette mise en demeure n'a pas été suivie d'effet et c'est ainsi que, par courrier du 18 octobre 1996, B.________ a informé A.________ qu'elle entendait, conformément à l'art. 107 al. 2 CO, maintenir le contrat les liant, renoncer au plan de réception et réclamer des dommages-intérêts pour cause d'inexécution. Pour sa part, A.________ a, le 23 octobre 1996, résilié les 17 contrats qui la liaient à B.________, portant sur des commandes intervenues entre le 18 septembre 1992 et le 4 avril 1995 et concernant les modèles M6, M2, M3, M4 et M5.

Au 29 février 1996, B.________ avait livré 1'975 montres nouveaux modèles. A.________ devait donc encore prendre livraison et payer 4'552 pièces. Après avoir introduit deux poursuites contre A.________, B.________ a, le 10 mars 1997, consigné les 534 montres fabriquées auprès d'une banque.

B.

Le 17 mars 1997, B.________ a ouvert action contre A.________ pour un montant supérieur à 13'000'000 fr., concluant notamment à ce que la défenderesse soit condamnée: (I) à prendre livraison des 534 montres produites et consignées ainsi qu'à lui payer le prix de ces montres, soit 1'079'736,25 fr. avec intérêts à 5% dès le 17 septembre 1996, (II) à lui verser 12'650'953 fr. plus intérêts à 5% dès le 18 octobre 1996 à titre de dommages-intérêts, et (III) à lui payer divers montants correspondant à des factures impayées, avec intérêts à 5%.

A.________ a conclu au déboutement de B.________, arguant de défauts affectant les montres livrées et faisant valoir subsidiairement, en compensation, le dommage que lui avaient occasionné ces défauts, sans toutefois prendre de conclusions chiffrées à ce sujet. Pour attester de ce dommage, A.________ a produit plusieurs lettres de clients ou concessionnaires, datant de février et septembre 1997, annulant des commandes à l'annonce que les montres devaient encore être envoyées en Suisse avant livraison pour vérification.

Suite à un incident de procédure soulevé par A.________, le tribunal a rendu, le 1er octobre 1998, un jugement ordonnant à B.________ de produire toutes les pièces en sa possession concernant les retours opérés par A.________ de montres M2, M3, M4, M5 et M6. Ce faisant, il a écarté de l'instruction de la cause les anciens modèles M1, qui avaient tous été livrés et entièrement payés. Les documents produits par B.________ suite à ce jugement consistent pour l'essentiel en des courriers adressés à A.________ entre 1993 et 1995 accompagnant des retours de montres.

Le tribunal a ordonné l'ouverture d'enquêtes, au cours desquelles il a entendu de nombreux témoins, dont plusieurs employés ou anciens employés des deux parties. Celles-ci ont toutes deux renoncé à une expertise; le tribunal s'est rallié à cette position par ordonnance du 14 février 2000, considérant qu'il était trop aléatoire d'ordonner une telle mesure sur des montres qui étaient restées plusieurs années entre les mains des parties.

Par jugement du 1er septembre 2000, le tribunal a condamné A.________ à payer à B.________ (I) la somme de 1'020'938,80 fr. avec intérêts à 5% dès le 4 octobre 1996, correspondant aux montres produites par B.________ et dont A.________ avait refusé de prendre livraison, (II) la somme de 10'186'104, 55 fr. avec intérêts à 5% dès le 18 octobre 1996, à titre de dommages-intérêts pour cause d'inexécution du contrat et (III) divers montants correspondant à des factures restées impayées. Il a qualifié le contrat de contrat d'entreprise. S'agissant de la première prétention, il a considéré que A.________ n'avait pas apporté la preuve que les montres fabriquées n'étaient pas conformes à la convention. B.________ s'étant libérée de son obligation en consignant ces objets, A.________ devait les payer. En ce qui concerne les dommages-intérêts réclamés par B.________, le tribunal a estimé que les conditions permettant une résiliation anticipée selon l'art. 366 CO n'étaient pas réalisées. Il a donc appliqué l'art. 377 CO et a condamné la défenderesse à indemniser entièrement B.________. Enfin, concernant la troisième prétention, le tribunal a constaté que A.________ n'avait pas allégué que les factures ouvertes correspondaient à des prestations non effectuées par B.________, qu'elle n'avait pas établi avoir refusé les montres correspondant à ces factures ou les avoir restituées à B.________. Elle n'avait donc aucun droit de résoudre le contrat selon l'art. 368 CO et devait exécuter son obligation de paiement.

C.

A.________ a formé un appel contre ce jugement. Elle a préalablement conclu à ce que la Cour de justice ordonne la réouverture des enquêtes et lui accorde un délai raisonnable pour établir le montant de la créance opposée en compensation, qu'elle fasse effectuer une expertise sur les cinq rapports d'expertise produits par B.________ en première instance, qu'elle ordonne à cette dernière de produire tous les documents techniques et autres plans, ainsi que tous autres documents relatifs aux montres M1, ancienne et nouvelle génération, M3, M2, M4, M5 et M8 et ordonne une expertise sur ces documents.

Par arrêt du 12 octobre 2001, la Cour de justice a rejeté cette requête pour les motifs suivants: A.________, qui avait accepté la clôture des enquêtes en première instance, sollicitait leur réouverture sans invoquer un quelconque fait nouveau ou lacune dans l'instruction. A.________ demandait l'application de l'art. 42 CO ou qu'un délai lui soit accordé pour chiffrer et prouver le dommage opposé en compensation alors qu'elle n'avait produit, en première instance, aucun moyen de preuve à même de contribuer à l'établissement des faits invoqués à l'appui de la compensation. La procédure de première instance avait duré plus de trois ans et à aucun moment A.________ n'avait développé les arguments fondant son objection de compensation, qui tenaient sur deux pages dans sa réponse, sur quelques lignes dans sa duplique et sur moins de deux pages dans son écriture après...

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