Arrêt nº 6S.82/2002 de Cour de Droit Pénal, 11 juin 2002

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Date de Résolution11 juin 2002
SourceCour de Droit Pénal

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Chapeau

128 IV 145

22. Extrait de l'arrêt de la Cour de cassation pénale dans la cause X. contre Procureur général du canton de Genève (pourvoi en nullité)

6S.82/2002 du 11 juin 2002

Faits à partir de page 145

A.- En juin 1992, le Ministère public genevois a ordonné l'ouverture d'une enquête préliminaire à l'encontre de X., titulaire d'un passeport diplomatique de la République du Yémen et d'un passeport argentin, domicilié en Espagne, pour blanchiment d'argent, défaut de vigilance en matière d'opérations financières, ainsi que faux dans les titres et certificats étrangers. Le 18 juin 1992, le Ministère public a ordonné la saisie de 6'240'177.40 US$ déposés sur le compte no 1964 auprès de la Banque Audi (Suisse) SA àBGE 128 IV 145 S. 146

Genève. En juillet 1992, les mêmes fonds ont également été saisis à titre conservatoire dans le cadre d'une requête d'entraide internationale émanant des autorités espagnoles. La mesure de blocage des fonds requise par les autorités espagnoles a par la suite été levée, la procédure espagnole s'étant achevée par l'acquittement de X.

Les fonds sont cependant restés bloqués car les faits reprochés à X. dans le cadre de l'enquête genevoise étaient distincts de ceux qui étaient à l'origine de la procédure espagnole. Le 31 juillet 1995, le Ministère public genevois a clôturé son enquête préliminaire et introduit une requête en confiscation des fonds saisis. Cette requête reposait en particulier sur l'implication de X. dans un trafic illicite d'armes à destination de pays de l'ex-Yougoslavie (Croatie et Bosnie). Il lui était reproché d'avoir fourni aux autorités espagnoles un document qui contenait une indication mensongère quant à la destination d'armes chargées sur le navire "Nadia" et d'avoir de la sorte obtenu l'autorisation pour le navire de quitter le port espagnol où il transitait.

B.- Par arrêt du 22 septembre 1997, la Chambre pénale de la Cour de justice genevoise a déclaré infondée la requête en confiscation. Elle a notamment relevé que l'infraction de trafic d'armes à destination de l'ex-Yougoslavie était certes réalisée mais qu'elle n'était pas punissable en Suisse, car les armes n'y avaient pas transité et X. n'était pas citoyen suisse ni domicilié dans ce pays.

C.- Statuant sur le pourvoi cantonal du Ministère public, la Cour de cassation genevoise l'a partiellement admis par arrêt du 8 mai 1998. En bref, il ressort de cet arrêt que le trafic illicite d'armes reproché à X. constitue une infraction en droit suisse, soit celle réprimée par l'art. 11 de l'ordonnance du Conseil fédéral du 18 décembre 1991 sur l'acquisition et le port d'armes à feu par des ressortissants yougoslaves (RO 1992 p. 25); il n'existe cependant aucun rattachement avec la Suisse dès lors que les armes n'y ont pas transité, que X. n'est pas domicilié dans ce pays, et qu'il n'en est pas citoyen; pour la Cour de cassation genevoise, cette situation n'exclut pourtant pas la confiscation en vertu du droit suisse du produit de l'infraction, pour autant que celle-ci soit également punissable dans le pays de commission - condition de la double incrimination abstraite; la Cour de cassation genevoise a ainsi renvoyé la cause à la Chambre pénale pour déterminer si le comportement imputé à X. tombait également sous le coup du droit espagnol.

Dans la suite de la procédure, le Ministère public a ordonné la levée partielle de la saisie sur les fonds, laquelle a été maintenue àBGE 128 IV 145 S. 147

concurrence de 3'315'000 US$, montant qui correspondait au prix d'achat des armes livrées en ex-Yougoslavie, majoré des intérêts courus. La Chambre pénale genevoise a sollicité un avis de l'Institut suisse de droit comparé (ISDC) sur le droit espagnol. L'ISDC a remis son avis le 10 février 1999, complété par un courrier du 16 juillet 1999.

D.- Par un nouvel arrêt du 22 novembre 1999, la Chambre pénale genevoise a admis la requête en confiscation du Ministère public.

E.- X. a formé un pourvoi cantonal contre l'arrêt du 22 novembre 1999. La Cour de cassation genevoise a admis ce pourvoi par arrêt du 15 septembre 2000. Elle a rappelé que l'acquittement prononcé en Espagne concernait d'autres faits que ceux liés au trafic d'armes. Selon elle, l'infraction au droit espagnol n'avait pas été déterminée avec une précision suffisante; cette infraction ne pouvait pas trouver sa source dans l'embargo des Nations Unies sur le commerce d'armes à destination des pays de l'ex-Yougoslavie car la résolution du Conseil de sécurité n'avait pas encore été mise en oeuvre en Espagne à l'époque des faits reprochés, contrairement à la Suisse avec l'ordonnance du Conseil fédéral du 18 décembre 1991 sur l'acquisition et le port d'armes à feu par des ressortissants yougoslaves; par conséquent, seule une infraction "ordinaire" de la législation espagnole pouvait entrer en ligne de compte. La Cour de cassation genevoise a ainsi renvoyé la cause à la Chambre pénale pour qu'elle procède à un complément d'instruction quant au droit espagnol.

L'ISDC a rendu un avis complémentaire le 2 février 2001.

F.- Statuant à nouveau par arrêt du 25 juin 2001, la Chambre pénale genevoise a derechef admis la requête en confiscation du Ministère public.

G.- Par arrêt du 1er février 2002, la Cour de cassation genevoise a rejeté le pourvoi cantonal formé par X. contre l'arrêt du 25 juin 2001.

La Cour de cassation genevoise a retenu les faits suivants: Chargé d'armes, le navire "Nadia" a quitté, probablement en avril 1992, le port de Ceuta (Espagne) sur la base d'une autorisation des autorités espagnoles obtenue grâce à une fausse déclaration de destination, qui mentionnait le Yémen à la place de l'ex-Yougoslavie. X. possédait la maîtrise de ce trafic d'armes vers l'ex-Yougoslavie et a agi avec conscience et volonté s'agissant de la fausse déclaration de destination.

La Cour de cassation genevoise a relevé que, de son point de vue et alors que le Tribunal fédéral ne s'était encore jamais exprimé surBGE 128 IV 145 S. 148

cette question, il était possible de prononcer une confiscation en vertu du droit suisse même en l'absence de tout rattachement avec notre pays. Il fallait pour cela que le comportement en cause fasse l'objet d'une disposition pénale en droit étranger comme en droit suisse et que soit ainsi réalisée la condition de la double incrimination abstraite. Cette condition était remplie en l'espèce. En droit suisse, le comportement reproché à X., soit le fait d'avoir porté sur un document administratif une indication mensongère concernant la destination d'une cargaison d'armes, tombait sous le coup de la loi fédérale sur le matériel de guerre du 30 juin 1972 (RO 1973 p. 107), en vigueur au moment des faits, dont l'art. 17 al. 1 let. b réprime le comportement de celui qui donne des indications fausses ou incomplètes dans une demande en vue d'une autorisation d'exporter du matériel de guerre. Le comportement de X. tombait également sous le coup d'une norme espagnole de droit pénal administratif, l'art. 1.1 al. 1 ch. 6 de la "Ley Organica 7/82" du 13 juillet 1982. Dans la suite de son raisonnement, la Cour de cassation genevoise a considéré que les fonds saisis auprès de la banque genevoise se trouvaient dans un rapport de connexité directe avec l'établissement de la fausse déclaration et représentaient ainsi le résultat de l'infraction. Elle a prononcé leur confiscation en vertu de l'art. 58 aCP et non de l'art. 59 CP, lequel est entré en vigueur le 1er août 1994, soit postérieurement aux faits reprochés.

H.- X. se pourvoit en nullité au Tribunal fédéral contre l'arrêt de la Cour de cassation genevoise du 1er février 2002. Il conclut à son annulation.

Le Tribunal fédéral a admis le pourvoi.

Extrait des considérants:

Extrait des considérants:

    1. S'opposant à la confiscation d'avoirs bancaires lui appartenant, le recourant est légitimé à se pourvoir en nullité en vertu de l'art. 270 let. h PPF (RS 312.0).

    2. Saisi d'un pourvoi en nullité, le Tribunal fédéral contrôle l'application du droit fédéral (art. 269 PPF) sur la base d'un état de fait définitivement arrêté par l'autorité cantonale (cf. art. 273 al. 1 let. b et 277bis al. 1 PPF). Le raisonnement juridique doit donc être mené sur la base des faits retenus dans la décision attaquée, dont le recourant est irrecevable à s'écarter (ATF 126 IV 65 consid. 1 p. 66/67).

    1. Il ne ressort pas de la procédure cantonale que l'Espagne aurait sollicité de la Suisse la confiscation des avoirs bancaires duBGE 128 IV 145 S. 149

      recourant en raison des faits qui lui sont reprochés dans l'arrêt attaqué. Quoique ces faits se soient passés hors de la Suisse, que le recourant ne soit pas citoyen de ce pays et qu'il n'y soit pas domicilié, la Cour de cassation genevoise a admis qu'elle était compétente pour confisquer les avoirs bancaires de ce dernier en vertu du droit suisse. Le recourant le conteste.

    2. La confiscation des valeurs patrimoniales a été prononcée en vertu de l'art. 58 aCP, qui dispose qu'alors même qu'aucune personne déterminée n'est punissable, le juge prononcera la confiscation des objets et valeurs qui sont le produit ou le résultat d'une infraction, qui ont été l'objet d'une infraction ou qui ont servi à la commettre ou qui étaient destinés à la commettre, s'il y a lieu de supprimer un avantage ou une situation illicite ou si les objets compromettent la sécurité des personnes, la morale ou l'ordre public.

      Il n'est pas contesté que sur le point ici litigieux - la compétence des autorités suisses pour confisquer les valeurs patrimoniales -, l'art. 58 aCP n'a pas de portée distincte par rapport à la nouvelle réglementation sur la confiscation, en vigueur depuis le 1er août 1994. Celle-ci sépare désormais la confiscation d'objets dangereux (art. 58 CP) et la confiscation de valeurs patrimoniales (art. 59 CP). L'art. 58 CP prévoit qu'alors même qu'aucune personne déterminée n'est punissable, le juge prononcera la confiscation d'objets qui ont servi ou devaient servir à commettre une...

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