Arrêt nº 4P.282/2001 de Ire Cour de Droit Civil, 3 avril 2002

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Date de Résolution 3 avril 2002
SourceIre Cour de Droit Civil

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Chapeau

128 III 191

37. Extrait de l'arrêt de la Ire Cour civile dans la cause X. Inc., un pseudonyme de Y. Inc. contre Z. Corporation et Tribunal arbitral (recours de droit public)

4P.282/2001 du 3 avril 2002

Faits à partir de page 192

BGE 128 III 191 S. 192

A.- Le 10 juin 1993, la société de droit nigérian Z. Corporation (ci-après: Z.) et une entité désignée par la raison sociale X. Inc. (ci-après: X.), se disant domiciliée à Dallas et soumise aux lois du Texas, ont conclu un accord de joint-venture (ci-après: le JVA) ayant pour objet la récupération et le recyclage des résidus de pétrole abandonnés par Z. dans le cadre de ses activités journalières au Nigeria. A cette fin, elles sont convenues de créer, dans ce pays, la société A. Limited (ci-après: A. Ltd) et d'en souscrire le capital à hauteur de 25% pour la première et de 75% pour la seconde.

L'accord en question était régi par le droit du Nigeria. Les litiges susceptibles d'en découler devaient être résolus par voie d'arbitrage, conformément au règlement de la Chambre de Commerce et d'Industrie de Genève (CCIG).

A. Ltd a été constituée le 22 juin 1993. X. a acheté du matériel et des produits chimiques en vue de l'exécution du projet prévu par le JVA. De son côté, Z. n'a pas respecté son engagement de verser la somme de 650'000 US$ afin de permettre à la société nouvellement créée au Nigeria de fonctionner.

En définitive, l'activité envisagée sous le JVA ne s'est pas développée selon les prévisions des parties, celles-ci s'en rejetant mutuellement la responsabilité.

B.- Le 23 novembre 1998, X. a introduit une procédure arbitrale devant la CCIG. Le siège de l'arbitrage a été fixé à Genève.

Le Tribunal arbitral, composé de trois membres, a décidé de statuer, dans un premier temps, sur le principe de la responsabilité de Z. et de se prononcer ultérieurement, au besoin, sur le montant du dommage allégué par X., soit quelque 1,18 milliard de dollars.

BGE 128 III 191 S. 193

Le 3 juillet 2000, il a rendu une sentence partielle dans laquelle il a notamment constaté que X. avait le "locus standi" pour lui soumettre les prétentions découlant du JVA et que Z. n'avait pas exécuté ses obligations contractuelles.

Par la suite, le Tribunal arbitral a invité les parties à faire valoir par écrit leurs arguments concernant le montant du dommage, puis il les a convoquées à Londres pour débattre de cette question. L'avant-dernier jour de cette audience, qui s'est déroulée du 23 au 29 janvier 2001, Z. a produit une pièce, intitulée "Certificate of Incorporation", dans laquelle le secrétaire d'Etat du Texas attestait l'inscription d'une société X. Inc. - portant donc le même nom que la demanderesse - opérée le 28 février 2000, c'est-à-dire postérieurement à la conclusion du JVA ainsi qu'au dépôt de la requête d'arbitrage. Sur la base de cette pièce, Z. a contesté tant la compétence du Tribunal arbitral que la capacité d'être partie de la demanderesse.

Après avoir donné aux parties l'occasion de s'exprimer par écrit sur ces questions, le Tribunal arbitral, statuant le 9 octobre 2001, a rendu sa sentence finale. Il y a tout d'abord admis sa compétence (ch. 1 du dispositif), avant de constater que X. n'est pas une entité juridique et qu'elle ne peut pas non plus faire valoir ses prétentions en tant que "alter ego" ou en tant que division de Y. Inc., ce qui l'a conduit à mettre fin à la procédure en raison de l'absence de personne juridique existante, du côté de la demanderesse.

C.- La sentence finale du 9 octobre 2001 a fait l'objet d'un recours de droit public au Tribunal fédéral formé par l'entité se désignant elle-même comme "X., a division of Y. Inc., un pseudonyme de Y. Inc.". La recourante a conclu à l'annulation de la sentence attaquée, à l'exception du chiffre 1 de son dispositif. Le Tribunal fédéral a rejeté le recours dans la mesure où il était recevable.

Extrait des considérants:

Extrait des considérants:

4. En premier lieu, la recourante soutient, en substance, que, dans sa sentence partielle du 3 juillet 2000, le Tribunal arbitral, en constatant qu'elle avait le "locus standi", lui a reconnu tant la qualité pour agir (ou légitimation active; Aktivlegitimation), que la capacité d'être partie (Parteifähigkeit) et la capacité d'ester en justice (Prozessfähigkeit), mais qu'il est revenu sur cette décision, dans sa sentence finale du 9 octobre 2001, en lui déniant à la fois cette qualité et ces capacités. Elle y voit une violation du principe de l'autorité de la chose jugée ainsi que du principe du dessaisissementBGE 128 III 191 S. 194

(Bindung), qui rendrait la sentence finale incompatible avec l'ordre public procédural.

  1. Une sentence peut être attaquée lorsqu'elle est contraire à l'ordre public (art. 190 al. 2 let. e LDIP [RS 291]). On distingue un ordre public matériel et un ordre public procédural (ATF 126 III 249 consid. 3a). L'ordre public procédural garantit aux parties le droit à un jugement indépendant sur les conclusions et l'état de fait soumis au Tribunal arbitral d'une manière conforme au droit de procédure applicable; il y a violation de l'ordre public procédural lorsque des principes fondamentaux et généralement reconnus ont été violés, ce qui conduit à une contradiction insupportable avec le sentiment de la justice, de telle sorte que la décision apparaît incompatible avec les valeurs reconnues dans un Etat de droit (cf.ATF 126 III 249 consid. 3b et les références).

    Le tribunal arbitral viole l'ordre public procédural s'il statue sans tenir compte de l'autorité de la chose jugée d'une décision antérieure (BERNARD CORBOZ, Le recours au Tribunal fédéral en matière d'arbitrage international, in SJ 2002 II p. 1 ss, 19 et 29; TSCHANZ/VULLIEMIN, in Revue de l'arbitrage 2001 p. 885 ss, 891) ou s'il s'écarte, dans sa sentence finale, de l'opinion qu'il a émise dans une sentence préjudicielle (Vorentscheid) tranchant une question préalable de fond (HANS PETER WALTER, Praktische Probleme der staatsrechtlichen Beschwerde gegen internationale Schiedsentscheide, in Bulletin de l'Association suisse de l'arbitrage [ASA] 2001 p. 2 ss, 18 n. 5.1).

    Les sentences finales (Endentscheide) sont revêtues de l'autorité matérielle de la chose jugée (MARKUS WIRTH, Commentaire bâlois, n. 22 ad art. 188 LDIP). S'agissant des sentences partielles (Teilentscheide) lato sensu (sur cette terminologie, cf.ATF 116 II 80 consid. 2b et 3b; WIRTH, op. cit., n. 2 ss ad art. 188 LDIP), il convient de distinguer: les sentences partielles proprement dites (echte Teilentscheide ou Teilentscheide im engeren Sinne), par lesquelles le tribunal arbitral statue sur une partie quantitativement limitée des prétentions qui lui sont soumises ou sur l'une des diverses prétentions litigieuses, bénéficient certes de l'autorité de la chose jugée (WIRTH, op. cit., n. 22 ad art. 188 LDIP), mais celle-ci ne s'attache qu'aux prétentions sur lesquelles le tribunal arbitral a statué, à l'exclusion d'autres ou de plus amples conclusions (cf., mutatis mutandis, l'arrêt 4C.233/-2000 du 15 novembre 2000, consid. 3a et les références). Quant aux sentences préjudicielles ou incidentes (Vor- oder Zwischenentscheide), qui règlent des questions préalables deBGE 128 III 191 S. 195

    fond ou de procédure, elles ne jouissent pas de l'autorité de la chose jugée; il n'en demeure pas moins que, contrairement aux simples ordonnances ou directives de procédure qui peuvent être modifiées ou rapportées en cours d'instance, de telles sentences lient le tribunal arbitral dont elles émanent (ATF 122 III 492 consid. 1b/bb et les références; WIRTH, op. cit., n. 23 ad art. 188 LDIP). Ainsi, pour ne citer qu'un seul exemple, le tribunal arbitral qui s'est prononcé, par voie de sentence préjudicielle, sur le principe de la responsabilité de la partie défenderesse est lié par sa décision sur ce point lorsqu'il statue, dans sa sentence finale, sur les prétentions pécuniaires de la partie demanderesse (cf. WALTER/BOSCH/BRÖNNIMANN, Internationale Schiedsgerichtsbarkeit in der Schweiz, p. 199 let. b).

    L'autorité de la chose jugée ne s'attache qu'au seul dispositif du jugement ou de la sentence. Elle ne s'étend pas aux motifs. Cependant, il faudra parfois recourir aux motifs de la décision pour connaître le sens exact, la nature et la portée précise du dispositif (ATF 125 III 8 consid. 3b p. 13;ATF 123 III 16 consid. 2a p. 18;ATF 116 II 738 consid. 2a in fine; FABIENNE HOHL, Procédure civile, I, n. 1309 et 1311).

  2. La sentence partielle ("partial award") du 3 juillet 2000 est une sentence préjudicielle, au sens de la terminologie utilisée ici. Les arbitres y ont, en effet, tranché des questions préalables relevant du fond (locus standi de la demanderesse, étendue des obligations imposées à la défenderesse par le JVA et responsabilité de celle-ci à l'égard de sa cocontractante). Comme telle, ladite sentence n'était pas revêtue de l'autorité de la chose jugée. Elle n'en liait pas moins le Tribunal arbitral, qui ne pouvait pas s'en écarter lorsqu'il a rendu sa sentence finale, le 9 octobre 2001. Il convient donc d'examiner si, comme le soutient la recourante, les arbitres ont méconnu le caractère contraignant de la sentence partielle.

    a

  3. Seul est en cause, dans ce contexte, le chiffre 1 du dispositif de ladite sentence, ainsi formulé: "X. has locus standi to submit claims to the Arbitral Tribunal arising out of the Joint Venture Agreement of June 10, 1993 and concluded between X. and Z.".

    Au sujet de l'expression "locus standi", la recourante indique que, selon le Black's Law Dictionary, cette expression désigne le droit d'agir en justice (standing in court), c'est-à-dire la qualité de partie et la capacité d'ester en justice. En réalité, comme l'intimée le souligne avec raison, la définition donnée par ce dictionnaire (6e éd.) n'impose nullement la conclusion qu'en tire la recourante. Cette définition est la suivante:BGE 128 III 191 S. 196

    "Locus standi. A place of standing; standing in court. A right of

    appearance in...

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