Arrêt nº 1P.233/2001 de Ire Cour de Droit Civil, 5 juin 2001

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Date de Résolution 5 juin 2001
SourceIre Cour de Droit Civil

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Chapeau

127 II 198

22. Extrait de l'arrêt de la Ie Cour de droit public du 5 juin 2001 dans la cause Abacha et Bagudu contre Chambre d'accusation du canton de Genève (recours de droit administratif)

Faits à partir de page 199

BGE 127 II 198 S. 199

Le 30 septembre 1999, la République fédérale du Nigeria (ci-après: la République fédérale) a annoncé à l'Office fédéral de la justice (ci-après: l'Office fédéral) qu'elle envisageait de demander à la Suisse l'entraide judiciaire pour les besoins de l'enquête ouverte au Nigeria à l'encontre des parents et des proches de feu Sani Abacha, Président de la République fédérale du 17 novembre 1993 à son décès le 8 juin 1998. Les personnes poursuivies le sont pour détournement de fonds publics.

Le 28 octobre 1999, le Procureur général du canton de Genève, se fondant sur des communications faites en application de la loi fédérale du 10 octobre 1997 concernant la lutte contre le blanchiment d'argent dans le secteur financier (LBA; RS 955.0), a, dans le même complexe de faits, ordonné l'ouverture d'une information pénale des chefs d'organisation criminelle (art. 260ter CP) et de blanchiment d'argent (art. 305bis CP). Cette procédure a été désignée sous la rubrique P/12983/99.

Le 24 novembre 1999, la République fédérale a déposé auprès du Procureur général une plainte pénale notamment pour abus de confiance, escroquerie, extorsion, gestion déloyale, recel, participation à une organisation criminelle et blanchiment d'argent notamment contre Mohamed Sani Abacha, fils de Sani Abacha, et Abubakar Attiku Bagudu, homme d'affaires et ami de Sani Abacha. Le Procureur général a ordonné l'ouverture d'une informationBGE 127 II 198 S. 200

pénale. Cette procédure, désignée sous la rubrique P/14457/99, a été jointe à la procédure P/12983/99, le 29 novembre 1999.

Le 3 décembre 1999, le Juge d'instruction a admis la République fédérale comme partie civile à la procédure P/12983/99, ainsi qu'aux procédures connexes.

Le 22 décembre 1999, le Juge d'instruction a joint toutes les procédures connexes à la procédure principale P/12983/99, au dossier de laquelle il avait donné accès à la République fédérale, le 9 décembre 1999.

Le 20 décembre 1999, la République fédérale a présenté à l'Office fédéral une demande formelle d'entraide judiciaire, pour les besoins de l'enquête conduite par la "Special Fraud Unit" de la police nigériane contre les parents et les proches de feu Sani Abacha. Les faits évoqués dans la demande d'entraide sont identiques à ceux appuyant la plainte du 24 novembre 1999.

Le 20 janvier 2000, l'Office fédéral a rendu une décision d'entrée en matière et ordonné le blocage d'une série de comptes bancaires. Il a délégué au même Juge d'instruction que celui chargé des procédures pénales ouvertes à Genève la mission de réunir la documentation relative à ces comptes, en l'invitant à remettre "toute information additionnelle recueillie dans le cadre de sa propre procédure et ayant une utilité potentielle pour répondre à la demande". Cette procédure a été désignée sous la rubrique CP/286/99.

Le Juge d'instruction a inculpé Abacha et Bagudu de participation à une organisation criminelle, de blanchiment d'argent, d'escroquerie, de gestion déloyale, subsidiairement de gestion déloyale des intérêts publics.

Le 7 novembre 2000, Bagudu s'est adressé au Juge d'instruction pour se plaindre de ce que la République fédérale aurait eu accès à des renseignements, contenus dans le dossier de procédure P/12983/99 équivalents, selon lui, à ceux réclamés dans la demande d'entraide judiciaire (CP/286/99), dont le traitement était en cours. De cette manière, la République fédérale aurait obtenu, de manière indue et prématurée, des informations qu'elle n'aurait pu obtenir qu'au terme de la procédure d'entraide. Bagudu a demandé au Juge d'instruction de suspendre le droit de la République fédérale de consulter le dossier, subsidiairement de lui faire interdiction d'utiliser les renseignements obtenus dans le cadre de la procédure P/12983/99 jusqu'à droit connu sur la demande d'entraide judiciaire.

Abacha a fait sienne la demande de Bagudu.

Le 23 novembre 2000, le Juge d'instruction a rejeté cette requête.

BGE 127 II 198 S. 201

Par deux décisions du 14 février 2001, la Chambre d'accusation a rejeté les recours formés par Bagudu et Abacha contre la décision du 23 novembre 2000, qu'elle a confirmée.

Agissant séparément par la voie du recours de droit public, Mohamed Sani Abacha et Abubakar Bagudu demandent au Tribunal fédéral d'annuler la décision du 14 février 2001. Bagudu requiert en outre le renvoi de la cause à la Chambre d'accusation pour nouvelle décision au sens des considérants. Les recourants invoquent les art. 5 al. 3, 9, 29 al. 2 et 49 al. 1 Cst.

Le Tribunal fédéral, après avoir joint les recours, a admis ceux-ci, traités comme recours de droit administratif. Il a annulé les décisions attaquées et renvoyé les causes au Juge d'instruction pour nouvelle décision au sens des considérants.

Extrait des considérants:

Extrait des considérants:

2. Le Tribunal fédéral examine d'office et avec une pleine cognition la recevabilité des recours qui lui sont soumis (ATF 127 III 41 consid. 2a p. 42; ATF 126 I 81 consid. 1 p. 83, 207 consid. 1 p. 209, 257 consid. 1a p. 258, et les arrêts cités).

  1. Le recours de droit public n'est pas recevable si le grief peut être soumis par un autre moyen de droit au Tribunal fédéral ou à une autre autorité fédérale (art. 84 al. 2 OJ). En l'occurrence, les recourants reprochent essentiellement aux autorités cantonales d'avoir éludé les prescriptions de la loi fédérale sur l'entraide internationale en matière pénale du 20 mars 1981 (EIMP; RS 351.1). Ils font valoir que la décision de donner à la République fédérale, partie civile, le libre accès au dossier de la procédure P/12983/99, en application de l'art. 142 al. 1 CPP/GE, reviendrait, de fait, à lui accorder tout ce qu'elle a réclamé à l'appui de la demande d'entraide judiciaire, avant même qu'une décision de clôture au sens de l'art. 80d EIMP ne soit rendue, ce qui serait inconciliable avec les règles fondamentales de l'entraide judiciaire et notamment le principe de la spécialité ancré à l'art. 67 al. 1 EIMP. Invoquant la primauté du droit fédéral (art. 49 al. 1 Cst.), les recourants soutiennent à cet égard que le Juge d'instruction et la Chambre d'accusation auraient appliqué arbitrairement le droit cantonal de procédure en lieu et place du droit public de la Confédération, soit l'EIMP. Or, un tel grief doit être soulevé dans le cadre du recours de droit administratif, selon ce que prévoit l'art. 25 al. 1 EIMP. Cette règle correspond au système des art. 97 et 98 let. g OJ, mis en relation avec l'art. 5 PA (RS 172.021), selon lequel la voie du recours de droit administratif est ouverte contre lesBGE 127 II 198 S. 202

    décisions des autorités cantonales de dernière instance et qui sont fondées sur le droit fédéral - ou qui auraient dû l'être - pour autant qu'aucune des exceptions prévues aux art. 99 à 102 OJ ou dans la législation spéciale ne soit réalisée (ATF 127 II 1 consid. 2b/aa p. 3/4; ATF 126 I 50 consid. 1 p. 52; 126 II 171 consid. 1a p. 173, 300 consid. 1a p. 301/302; ATF 126 V 252 consid. 1a p. 253/354, et les arrêts cités), cette voie de droit étant aussi ouverte contre les décisions cantonales fondées à la fois sur le droit fédéral et sur le droit cantonal dans la mesure où la violation de dispositions du droit fédéral directement applicables est en jeu (cf. art. 104 let. a OJ; ATF 126 V 30 consid. 2 p. 31; ATF 125 II 10 consid. 2a p. 13; ATF 124 II 409 consid. 1d/dd p. 414/415, et les arrêts cités). Ces principes jurisprudentiels valent aussi dans le domaine de l'entraide judiciaire, qui relève du droit public de la Confédération. En d'autres termes, lorsque dans le cadre d'une procédure pénale régie par le droit cantonal, une partie soulève le grief de violation des règles de l'EIMP applicables à une procédure d'entraide connexe, l'autorité cantonale (d'exécution ou de recours) rend une décision fondée sur le droit fédéral, contre laquelle seule est ouverte la voie du recours de droit administratif (cf. art. 80e, 80f et 80i EIMP; cf. ATF 115 Ib 366 consid. 1 p. 369/370 et l'arrêt non publié F. du 23 mars 1994).

    En l'espèce, la procédure P/12983/99 présente un lien étroit avec la procédure CP/286/99 ouverte en exécution de la demande d'entraide du 20 décembre 1999: la République fédérale, comme Etat requérant et comme partie civile, défend les mêmes intérêts; les faits évoqués dans la plainte pénale et dans la demande d'entraide sont identiques; les personnes impliquées sont les mêmes; les mesures de contrainte portent sur les mêmes comptes. Les deux procédures sont à ce point imbriquées qu'il est pour ainsi dire impossible de mener l'une indépendamment de l'autre. Ce point n'a d'ailleurs pas échappé à l'Office fédéral. Dans sa décision d'entrée en matière du 20 janvier 2000, celui-ci a invité le Juge d'instruction chargé simultanément de la procédure pénale (P/12983/99) et de l'exécution de la demande d'entraide (CP/286/99) à lui remettre, en vue d'une transmission à l'Etat requérant, "toute information additionnelle recueillie dans le cadre de sa procédure pénale et ayant une utilité potentielle" pour la procédure étrangère. Les mesures de contrainte - notamment la saisie d'une très importante documentation bancaire - ont été ordonnées aussi bien pour les besoins de la procédure pénale que pour l'exécution de la demande d'entraide judiciaire. En accordant à la République fédérale l'accès au dossierBGE 127 II 198 S. 203

    de la procédure P/12983/99, sans aucune restriction, le Juge d'instruction a pris une décision qui a influé sur le déroulement de la procédure d'entraide, puisque l'Etat requérant s'est trouvé autorisé à consulter les pièces recueillies pour l'exécution de la demande d'entraide, avant tout tri préalable. En cela, le Juge d'instruction ne s'est pas placé uniquement sur...

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