Arrêt nº 6S.6/2001 de Cour de Droit Pénal, 15 mars 2001

Conférencierpublié
Date de Résolution15 mars 2001
SourceCour de Droit Pénal

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Chapeau

127 IV 79

11. Extrait de l'arrêt de la Cour de cassation pénale du 15 mars 2001 dans la cause A. contre Ministère public du canton de Vaud (pourvoi en nullité)

Faits à partir de page 79

A.- Dans le cadre d'un rapt commis par une bande de malfaiteurs, dont faisaient notamment partie B. et C., une rançon a été demandée à la famille de la victime, laquelle a versé une premièreBGE 127 IV 79 S. 80

partie du montant exigé. Entrés en possession d'une partie de cette somme, soit de 239'000 fr. au moins, B. et C. se sont rendus chez la soeur de ce dernier, D., à laquelle ils ont confié cet argent. La victime a été libérée le même jour, grâce à une intervention policière, lors de laquelle B. et C. ont été arrêtés.

Environ trois semaines plus tard, B. a reçu en prison la visite de son frère, E., qu'il a chargé de récupérer l'argent de la rançon auprès de D. E. s'est alors rendu, en compagnie de A. ainsi que de F. et G., au domicile de D. et H. Pendant que leurs comparses attendaient dans la voiture, E. et A. sont allés chercher l'argent, que A., qui en connaissait l'origine criminelle, a compté. D. et H. ayant refusé de conserver la part du butin revenant à C., les quatre hommes sont repartis avec le montant de 239'000 fr., qu'ils sont allés dissimuler au domicile de F.

Par la suite, I., père de E., mis au courant par ce dernier, a récupéré 114'000 fr. provenant de la somme déposée chez F. Sur ce montant, I. a prélevé 73'000 fr., qu'il a apportés à A. Ce dernier, qui connaissait l'origine illicite de cet argent, l'a caché à son domicile; entre ce moment et son arrestation, il a dépensé environ 5000 fr.; le solde de 68'000 fr. a été retrouvé et saisi par la police à son domicile.

B.- Par jugement du 15 décembre 1999, le Tribunal correctionnel du district de Payerne a condamné A., pour blanchiment d'argent (art. 305bis ch. 1 CP), à la peine de 5 mois d'emprisonnement, avec sursis pendant 2 ans. Il l'a en revanche libéré du chef d'accusation de recel (art. 160 CP), estimant que l'une des conditions de cette infraction n'était pas réalisée, dès lors que l'argent provenait d'un enlèvement.

Le Ministère public a recouru contre ce jugement, concluant à ce qu'il soit réformé en ce sens que l'accusé soit reconnu coupable de recel et à ce que la peine prononcée contre lui soit portée à 8 mois d'emprisonnement, avec sursis pendant 2 ans, le jugement étant confirmé pour le surplus.

Par arrêt du 15 mai 2000, la Cour de cassation pénale du Tribunal cantonal vaudois a admis le recours. Elle a modifié le verdict de culpabilité en retenant, en sus du blanchiment d'argent, le recel et a porté la peine privative de liberté à 15 mois d'emprisonnement, avec sursis pendant 2 ans, prononçant en outre l'expulsion de l'accusé pour une durée de 5 ans, sans sursis.

C.- A. se pourvoit en nullité au Tribunal fédéral. Invoquant une violation des art. 160 et 63 CP, il conclut à l'annulation de l'arrêt attaqué. Après avoir sollicité l'assistance judiciaire, il a finalement effectué l'avance de frais initialement requise.

BGE 127 IV 79 S. 81

Le Ministère public conclut au rejet du pourvoi.

Le Tribunal fédéral admet partiellement le pourvoi, annule l'arrêt attaqué et renvoie la cause à l'autorité cantonale pour nouvelle décision.

Extrait des considérants:

Considérant en droit:

2. Le recourant conteste que le recel puisse être retenu à son encontre. Selon lui, l'argent qu'il lui est reproché d'avoir recelé provient d'une prise d'otage au sens de l'art. 185 CP, non pas d'un enlèvement ou d'une séquestration avec demande de rançon au sens des art. 183 et 184 CP; il s'agit donc d'une infraction contre la liberté, non pas contre le patrimoine, de sorte que le recel est exclu.

  1. Se rend coupable de recel, celui qui acquiert, reçoit en don ou en gage, dissimule ou aide à négocier une chose dont il sait ou doit présumer qu'un tiers l'a obtenue au moyen d'une infraction contre le patrimoine (art. 160 ch. 1 al. 1 CP).

    L'art. 160 ch. 1 al. 1 CP, en vigueur depuis le 1er janvier 1995, prévoit donc expressément que la chose recelée doit provenir d'une infraction contre le patrimoine, ce qui ne ressortait pas textuellement de l'art. 144 aCP, mais que la jurisprudence relative à cette dernière disposition avait déjà admis (cf.ATF 115 IV 256 consid. 6b p. 259;ATF 101 IV 402 consid. 2 p. 405). Ainsi le Tribunal fédéral a-t-il nié qu'il puisse y avoir recel d'argent provenant d'un trafic de stupéfiants (ATF 115 IV 256 consid. 6b p. 259). Il a en revanche admis que le recel pouvait être retenu à l'encontre d'un accusé ayant dissimulé des passeports vierges qui avaient été dérobés dans des locaux officiels de ce qui était alors la République fédérale d'Allemagne, étant observé que ces passeports avaient été obtenus par un comportement punissable qui, quelle qu'en soit la qualification juridique exacte (vol, soustraction ou autre infraction contre le patrimoine au sens large), était dirigé contre le patrimoine de la République fédérale allemande (ATF 101 IV 402 consid. 2 p. 405). Dans une affaire d'extradition, il a par ailleurs admis qu'il pouvait y avoir recel du produit d'une banqueroute frauduleuse au sens de l'art. 163 aCP (ATF 112 Ib 225 consid. 5a p. 233 s.).

    De cette jurisprudence, il résulte notamment que la notion d'infraction contre le patrimoine au sens de l'art. 160 ch. 1 al. 1 CP, respectivement de la jurisprudence relative à l'art. 144 aCP, englobe en tout cas les infractions contre le patrimoine qui sont classées dans le titre deuxième de la partie spéciale du code pénal qui leur estBGE 127 IV 79 S. 82

    expressément consacré, c'est-à-dire non seulement les infractions contre le patrimoine proprement dites, soit celles qui sont rassemblées dans la première section du titre deuxième (art. 137 à 161 CP), mais également celles figurant dans d'autres sections de ce titre, telles que les infractions commises dans la faillite ou la poursuite pour dettes (art. 163 ss CP).

    A ce jour, le Tribunal fédéral n'a en revanche pas été amené à se prononcer sur la question de savoir s'il peut y avoir recel d'une chose provenant d'une infraction qui touche certes au patrimoine d'autrui, mais ne figure pas dans le titre du code pénal expressément consacré aux infractions contre le patrimoine.

  2. Le Message du Conseil fédéral du 24 avril 1991 relatif à la modification des dispositions du code pénal suisse et du code pénal militaire réprimant les infractions contre le patrimoine et les faux dans les titres, relève que le recel peut certes porter sur l'objet d'un délit d'appropriation tel que le vol, l'abus de confiance ou le détournement, mais que le champ d'application de cette disposition s'étend aussi aux cas où l'infraction préalable constitue un autre type de délit contre le patrimoine et qu'il peut notamment y avoir recel d'une chose obtenue par le biais d'une escroquerie ou d'une extorsion (FF 1991 II 933 ss, p. 1024). Il ne se prononce en revanche pas sur la question ici litigieuse de savoir s'il peut y avoir recel d'une chose provenant d'une infraction ne figurant pas dans le titre du code pénal consacré aux infractions contre le patrimoine.

    Dans la doctrine, il est très généralement admis que la notion d'infraction contre le patrimoine au sens de l'art. 160 ch. 1BGE 127 IV 79 S. 83

    al. 1 CP, respectivement de l'art. 144 aCP, doit être interprétée dans un sens large et qu'il faut entendre par là tout délit qui a pour effet de soustraire une chose au patrimoine dont elle fait partie, ce que certains des auteurs de langue allemande traduisent par "Vermögensverschiebungsdelikt" (STRATENWERTH, Schweizerisches Strafrecht, Partie spéciale I, 5ème éd., Berne 1995, § 20 no 6; SCHUBARTH, Kommentar zum schweizerischen Strafrecht, vol. II, art. 144 CP no 24 ss; REHBERG/SCHMID, Strafrecht III, 7ème éd., Zurich 1997, p. 245; TRECHSEL, Zum Tatbestand der Hehlerei, in: RPS 91/1975 p. 385 ss, p. 397 s.; JEAN-ARNAUD DE MESTRAL, Le recel de choses et le recel de valeurs en droit pénal suisse, thèse Lausanne 1988, p. 110). On ne peut que souscrire à cette interprétation large, qui va d'ailleurs dans le sens de la jurisprudence. On ne saurait en effet s'en tenir au critère de la classification formelle d'une disposition dans la loi. La notion d'infraction contre le patrimoine au sens de l'art. 160 ch. 1 al. 1 CP doit bien plutôt être définie en fonction de la nature du recel, qui selon la théorie dite de la perpétuation, est punissable parce qu'il a pour effet de faire durer, au préjudice de la victime du premier délit, l'état de chose contraire au droit que cette infraction a créé (cf.ATF 117 IV 445 consid. 1b p. 446 s.;ATF 116 IV 193 consid. 3 p. 198 et les références citées) et qui se caractérise donc comme une atteinte au droit d'autrui de récupérer une chose dont il a été privé à la suite d'une première infraction (sur ce point, cf. STRATENWERTH, op. cit., loc. cit.; SCHUBARTH, op. cit., art. 144 no 7 ss; REHBERG/SCHMID, op. cit., p. 244; TRECHSEL, op. cit., p. 398; CORBOZ, Les principales infractions, vol. II, Berne 1999, p. 85; JEAN-ARNAUD DE MESTRAL, op. cit., loc. cit.). Or, comme on le verra, toutes les infractions pouvant aboutir à priver autrui d'une chose ne figurent pas nécessairement dans le titre du code pénal réprimant spécifiquement les infractions contre le patrimoine. Il y a donc lieu d'admettre que, par infraction contre le patrimoine au sens de l'art. 160 ch. 1 al. 1 CP, il faut entendre toute infraction dirigée contre le patrimoine d'autrui, même si elle ne figure pas formellement parmi les infractions contre le patrimoine.

  3. Plus concrètement, divers auteurs de doctrine évoquent certaines infractions, ne figurant pas formellement parmi les infractions contre le patrimoine, dont le produit peut donner lieu à un recel subséquent. Ainsi, Stratenwerth et Schubarth, estiment qu'il peut y avoir...

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