Arrêt nº 6S.269/2000 de Cour de Droit Pénal, 17 août 2000

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Date de Résolution17 août 2000
SourceCour de Droit Pénal

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Chapeau

126 IV 209

33. Extrait de l'arrêt de la Cour de cassation pénale du 17 août 2000 dans la cause X. c. Procureur général du canton de Genève, SA Louis Dreyfus & Cie, Louis Dreyfus Négoce SA (pourvoi en nullité)

Faits à partir de page 210

BGE 126 IV 209 S. 210

A.- Né en 1950, X. est le directeur avec signature individuelle de la société I. SA, dont le siège social est à Genève et qui est en particulier active dans le courtage et le commerce de produits agricoles. Aston Trading GmbH (ci-après: Aston), dont le siège social se trouve à Hambourg, est une société active dans le commerce des produits céréaliers. SA Louis Dreyfus & Cie (ci-après: Dreyfus) et Louis Dreyfus Négoce SA sont deux sociétés domiciliées à Paris, également actives dans le commerce des céréales, la première détenant les actions de la seconde.

Le 2 juillet 1996, Aston a vendu 6'000 tonnes d'orge à I. SA. Par contrat du 2 septembre 1996, cette dernière à revendu la moitié de cet orge à Dreyfus. Ces transactions ont été traitées par l'intermédiaire d'un courtier domicilié à Paris, la SA Sotour (ci-après: Sotour).

Par fax du 11 septembre 1996, X. a demandé à Sotour que les documents et la facture concernant les 3'000 tonnes d'orge vendues à Dreyfus soient présentés directement par Aston à Dreyfus et que le montant revenant à I. SA au titre de sa marge bénéficiaire, 4,5 US$ par tonne, soit versé sur le compte d'I. SA auprès de l'UBS à Genève. Sur cette base, Aston a fait établir le 20 septembre 1996, par l'entremise de la Dresdner Bank, deux factures séparées, l'une en sa faveur pour le montant de la marchandise vendue (483'000 US$), l'autre concernant les 13'500 US$ (équivalant à 4,5 US$ par tonne) en faveur d'I. SA. Le 23 septembre 1996, Aston a transmis une copie de ces deux factures à X. Par fax du même jour, celui-ci a prié Sotour d'informer Dreyfus de s-'acquitter des deux factures simultanément. Il a derechef adressé un fax à Sotour le 30 septembre 1996, dont il ressort notamment qu'il a autorisé "la présentation des documents en direct".

Il a été retenu que X. avait souhaité, s'agissant de l'orge vendue par I. SA à Dreyfus, faire directement payer par cette dernière société le prix dû à Aston et ne recevoir que la marge bénéficiaire de 13'500 US$ et que cette manière de procéder (accord dit de "by-pass") avait été acceptée par Dreyfus et Aston.

Le 2 octobre 1996, un employé de Dreyfus a donné par erreur l'ordre de créditer I. SA de l'intégralité de la transaction, donc non seulement les 13'500 US$, mais aussi les 483'000 US$. Le même jour en fin d'après-midi, Dreyfus a informé X. par fax du fait que les 483'000 US$ qui devaient être versés à Aston avaient été crédités par erreur sur le compte d'I. SA auprès de l'UBS.

Le 3 octobre 1996 dans la matinée, X. a donné instruction à l'UBS de préparer des chèques bancaires à hauteur de 483'000 US$. LeBGE 126 IV 209 S. 211

même jour, il a eu divers entretiens téléphoniques avec le directeur administratif de Louis Dreyfus Négoce SA; selon les déclarations de celui-ci et celles d'autres témoins, X. a indiqué qu'il rembourserait Dreyfus une fois que cette société aurait payé Aston.

Le 7 octobre 1996, Dreyfus a versé 483'000 US$ sur le compte bancaire d'Aston auprès de la Dresdner Bank, conformément à la facture du 20 septembre 1996.

En l'absence de remboursement des 483'000 US$ versés par erreur sur le compte d'I. SA, une plainte pénale a été déposée contre X. Lors de l'instruction, celui-ci a produit une facture à l'en-tête d'Aston, datée du 20 septembre 1996, aux termes de laquelle la société Dreyfus était invitée à payer les 483'000 US$ sur le compte d'I. SA auprès de l'UBS. Il a été constaté que X. avait produit ce document alors qu'il était conscient de sa fausseté, dans le but d'améliorer indûment sa situation d'inculpé; il n'a pas été établi qu'il était lui-même l'auteur du faux.

B.- Par arrêt du 23 avril 1999, la Cour correctionnelle genevoise siégeant sans le concours du jury a condamné X., pour utilisation sans droit de valeurs patrimoniales (art. 141bis CP) et faux dans les titres (art. 251 ch. 1 al. 3 CP), à douze mois d'emprisonnement avec sursis durant cinq ans. Elle l'a en outre condamné à payer 483'000 US$ plus intérêts à Dreyfus.

Par arrêt du 31 mars 2000, la Cour de cassation genevoise a rejeté le recours formé par X.

C.- Celui-ci se pourvoit en nullité au Tribunal fédéral contre cet arrêt. Il conclut à l'annulation de la décision attaquée.

Extrait des considérants:

Extrait des considérants:

2. Le recourant se plaint d'une violation des art. 1 et 141bis CP. Dans la mesure où son argumentation revient à dire que les conditions d'application de l'art. 141bis CP ne sont pas données, l'invocation de l'art. 1 CP - selon lequel "nul ne peut être puni s'il n'a commis un acte expressément réprimé par la loi" - n'a pas de portée propre.

  1. Aux termes de l'art. 141bis CP, "celui qui, sans droit, aura utilisé à son profit ou au profit d'un tiers des valeurs patrimoniales tombées en son pouvoir indépendamment de sa volonté sera, sur plainte, puni de l'emprisonnement ou de l'amende". En vigueur au 1er janvier 1995, cette disposition a été adoptée afin de rendre superflueBGE 126 IV 209 S. 212

    l'application par analogie de l'art. 141 aCP au détournement de créances (ATF 121 IV 258 consid. 2a p. 259; à propos de l'application de l'art. 141 aCP au détournement de créances, cf.ATF 116 IV 134;ATF 87 IV 115).

  2. Le recourant affirme d'abord que les valeurs patrimoniales ne sont pas tombées en son pouvoir "indépendamment de sa volonté"; selon lui, cet élément constitutif ne serait pas réalisé car il ne concernerait que le cas de celui qui reçoit des valeurs patrimoniales de manière totalement inattendue.

    Les termes "indépendamment de sa volonté" visent en particulier, dans le domaine du trafic des paiements sans numéraire, le virement qui parvient à l'auteur par erreur, autrement dit, le paiement destiné à un autre compte (ATF 126 IV 161 consid. 3c, p. 163; TRECHSEL, Kurzkommentar, 2ème éd., Zurich 1997, art. 141bis no 3; REHBERG/SCHMID, Strafrecht III, 7ème éd., Zurich 1997, p. 140; HANS WIPRÄCHTIGER, Entwicklungen im revidierten Vermögensstrafrecht, in PJA 1999 p. 382 no IV/4; MARCEL ALEXANDER NIGGLI, Urteilsanmerkung, in PJA 1998 p. 120). Cette erreur ne doit en outre pas avoir été délibérément provoquée par l'auteur (cf.ATF 123 IV 125 consid. 2b p. 128).

    Le recourant soutient qu'en vertu du contrat de vente du 2 septembre 1996 entre I. SA et Dreyfus, I. SA avait le droit de recevoir le prix de vente de 483'000 US$. Il occulte ainsi totalement que, postérieurement audit contrat, les parties se sont mises d'accord pour que le prix de vente soit payé directement par Dreyfus à Aston. A ce propos, l'autorité cantonale a retenu que, selon la réelle et commune intention des parties, Dreyfus devait verser les 483'000 US$ non pas à I. SA, mais directement à Aston. Elle a ainsi tranché une question de fait (ATF 125 III 305 consid. 2b p. 308;ATF 118 II 365 consid. 1 p. 366;ATF 107 II 430 consid. 2 p. 433), que le recourant n'est pas recevable à mettre en cause dans un pourvoi en nullité. En outre, Dreyfus a tout de suite signalé au recourant qu'elle avait viré par erreur les 483'000 US$ sur le compte d'I. SA. Il résulte de ce qui précède que c'est contrairement à l'accord entre les parties et par erreur que le compte d'I. SA a été crédité. On se trouve donc typiquement dans un cas de figure visé par l'art. 141bis CP; le montant viré est tombé sous la maîtrise du recourant "indépendamment de sa volonté".

  3. Le recourant affirme qu'il n'a pas sans droit utilisé à son profit ou au profit d'un tiers les 483'000 US$.

    aa) Selon STRATENWERTH (Schweizerisches Strafrecht, Bes. Teil I, 5ème éd., Zurich 1995, § 14 no 15), il n'est pas aisé de définirBGE 126 IV 209 S. 213

    quelle utilisation de valeurs patrimoniales doit être considérée comme "sans droit". La formulation de l'art. 141bis CP est sur ce point similaire - elle est identique en allemand "unrechtmässig in seinem oder in eines andern Nutzen verwendet" - à celle de l'art. 138 ch. 1 al. 2 CP relatif à l'abus de confiance sur des valeurs patrimoniales confiées. Mais à la différence de l'abus de confiance, l'art. 141bis CP n'implique pas d'engagement particulier de l'auteur envers le lésé sur les valeurs patrimoniales. Chaque acte de disposition sur des valeurs patrimoniales ne saurait réaliser l'énoncé légal, notamment si un tel acte n'empêche pas l'auteur de satisfaire les prétentions en enrichissement illégitime du lésé par d'autres moyens ou plus tard. En conséquence, ne peut être qualifiée d'utilisation sans droit que le comportement qui vise à entraver complètement les prétentions du lésé.

    Pour...

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