Arrêt nº 4C.3/1997 de Ire Cour de Droit Civil, 6 juin 2000

Date de Résolution 6 juin 2000
SourceIre Cour de Droit Civil

[AZA 3]

4C.3/1997

Ie COUR CIVILE

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Séance du 6 juin 2000

Présidence de M. Walter, président de la Cour.

Présents: M. Leu, M. Corboz, Mme Klett et M. Nyffeler, juges.

Greffière: Mme Godat Zimmermann.

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Dans la cause qui oppose

Arnaud R o u e r, à Thônex, représenté par Me Jean-Pierre Garbade, avocat à Genève,

demandeur,

à

l'Etatde G e n è v e, à Genève, représenté par Me Douglas Hornung, avocat à Genève,

défendeur;

(procès direct; accident de la circulation; responsabilité de l'Etat; responsabilité civile du détenteur)

Vu les pièces du dossier d'où ressortent

les faits suivants:

A.- Le dimanche 5 septembre 1993, vers 10 h 50, Arnaud Rouer circulait au guidon d'une moto Honda 750 sur la voie gauche de la partie droite de la route de Meyrin, en direction de cette localité. Il dépassa une voiture de police banalisée, modèle Opel Senator, qui venait de s'engager sur la route de Meyrin, en provenance de la route de Pré-Bois. L'allure excessive du deux-roues attira l'attention du conducteur de la voiture, André Jeanbourquin, gendarme à la brigade motorisée genevoise, et de son collègue Henri Bon. Tout en accélérant, Jeanbourquin demanda à ce dernier d'enclencher l'appareil de mesure de vitesse "Multagraph". A un moment donné, Rouer se rabattit sur la voie de circulation de droite avant d'emprunter la bretelle qui conduit à la rue Lect. Lorsque le motocycliste sortit de la route de Meyrin, Jeanbourquin demanda à Bon de déclencher l'appareil de mesure de vitesse. Selon le relevé "Multagraph", le gendarme Bon a procédé à deux mesures. La première n'a pas porté sur une distance suffisante. D'après la seconde, la vitesse moyenne du motocycliste sur 500 mètres était de 106 km/h, soit 95 km/h après déduction de la marge de tolérance; sa vitesse de pointe était de 125 km/h. Sur le tronçon en cause, la vitesse est limitée à 60 km/h.

Pour négocier le virage à droite menant à la rue Lect, le motocycliste ralentit fortement. Arrivé sur la rue Lect, il accéléra et distança les gendarmes. Jeanbourquin enclencha alors la sirène et demanda à son collègue de mettre le feu bleu sur le toit; Bon s'exécuta alors que la voiture se trouvait à la hauteur de l'avenue de Feuillasse. La poursuite s'est déroulée à une vitesse élevée. Le gendarme Jeanbourquin estime avoir roulé à plus de 120 km/h sur la rue Lect. Toujours à la hauteur de l'intersection avec l'avenue de Feuillasse, Rouer ralentit et fit un écart pour une raison que les gendarmes attribuent au passage d'un chat. Ce ralentissement permit à la voiture de police de se rapprocher du motocycliste. Selon les gendarmes, Rouer a ensuite réaccéléré avant de s'engager sur l'avenue de Mategnin.

Dans une large courbe à gauche, peu avant l'intersection avec le chemin H.-C. Forestier, Rouer freina. Ce freinage a laissé sur la chaussée une trace rectiligne de 12,20 mètres, qui traverse la ligne blanche séparant les deux voies du chemin Forestier, à la hauteur du "Stop" marquant la fin dudit chemin. Selon ses déclarations, le conducteur du véhicule de police a également freiné dès qu'il a vu que le motocycliste freinait. L'avant droit de la voiture toucha néanmoins l'arrière de la moto. La collision s'est produite à la fin de la trace de freinage de la moto, sur la ligne blanche longitudinale dans la zone du "Stop" du chemin Forestier. Le choc a été de faible intensité, la différence de vitesse entre les deux véhicules n'étant pas importante. La moto partit tout droit, montant sur un trottoir avant de finir sa course dans un grillage métallique. Lors du passage du trottoir, Rouer fut projeté par-dessus la clôture. Jeanbourquin affirme avoir effectué un freinage d'urgence dès la "touchette". Après la collision, la voiture suivit la même trajectoire que la moto. Sous le poids du véhicule, le grillage se coucha; la distance entre l'avant de la voiture à l'arrêt et la fin de la trace de freinage, soit la zone de choc, est d'environ 14 mètres. Le motocycliste se retrouva sous l'avant de la voiture. Il fut grièvement blessé, notamment aux jambes. Les garde-boue avant et arrière de la moto ont été endommagés; en outre, les deux jantes ont été déformées. Le pare-chocs avant, la calandre, le radiateur d'eau, une conduite d'huile et le phare avant droit de la voiture ont subi des dégâts.

Le matin du 5 septembre 1993, il faisait beau et la chaussée était sèche. Le trafic était peu important.

B.- Rouer n'est pas titulaire d'un permis de conduire. Sa moto était munie de fausses plaques d'immatriculation françaises. A l'époque de l'accident, il était recherché comme l'un des auteurs d'un brigandage avec arme à feu commis en janvier 1993 dans le canton de Genève. Par arrêt du 3 mai 1996, la Cour d'assises du canton de Genève a condamné Rouer à dix ans de réclusion et à quinze ans d'expulsion du territoire suisse, pour délit manqué d'assassinat, brigandage aggravé, vol et conduite d'un véhicule automobile sans permis de conduire.

Par ordonnance du 9 mai 1994, le Procureur général de la République et canton de Genève a classé la procédure pénale ouverte à la suite de l'accident du 5 septembre 1993. D'une part, il a estimé équitable et proportionné de renoncer à toute poursuite à l'égard de Rouer en raison des lésions nombreuses et importantes subies par celui-ci. D'autre part, il a considéré que le comportement des agents n'avait pas été contraire aux règles de prudence dictées par les circonstances.

C.- Par demande du 7 janvier 1997, Rouer a introduit un procès direct devant le Tribunal fédéral contre l'Etat de Genève. Il entend obtenir réparation du dommage corporel et du tort moral subis à la suite de l'accident du 5 septembre 1993. Le demandeur reproche en particulier au conducteur de la voiture de ne pas avoir freiné après le heurt avec la moto et d'avoir persévéré dans sa course poursuite. Il fonde son action à la fois sur les art. 58 ss LCR et sur la loi genevoise sur la responsabilité de l'Etat et des communes du 24 février 1989. Ses conclusions principales tendent à ce que le défendeur soit condamné à lui payer un montant que justice dira, de l'ordre de 80 000 fr. à 140 000 fr., plus intérêts à 5% dès le 5 septembre 1993 et à ce que la révision du jugement soit réservée pendant un délai de deux ans, en application de l'art. 46 al. 2 CO.

Par décision du 10 mars 1997, le Tribunal fédéral a admis la demande d'assistance judiciaire déposée par le demandeur et désigné à celui-ci Me Jean-Pierre Garbade comme avocat d'office.

Dans sa réponse, l'Etat de Genève se prévaut de la prescription de l'action fondée sur la loi genevoise sur la responsabilité de l'Etat et des communes. Invoquant les art. 100 ch. 4 LCR, 32 CP et 59 LCR, il conteste par ailleurs sa responsabilité en tant que détenteur d'un véhicule automobile. Le défendeur conclut au déboutement du demandeur de toutes ses conclusions. Dans sa réplique, le demandeur a fixé la fourchette du montant réclamé dans ses conclusions entre 140 000 fr. et 240 000 fr. Le défendeur a dupliqué et maintenu ses conclusions libératoires.

Une audience préparatoire s'est tenue le 13 octobre 1997. Le juge délégué a alors informé les parties qu'en application de l'art. 34 al. 2 2ème phrase PCF, l'instruction de la cause serait pour l'instant limitée au principe de la responsabilité de l'Etat de Genève; en effet, une réponse négative à cette question mettrait fin au litige.

Dans le cadre de l'administration des preuves, la délégation du Tribunal fédéral a entendu, le 16 décembre 1997, André Jeanbourquin, conducteur de la voiture mise en cause dans l'accident, Henri Bon, passager dudit véhicule,

Michel Matthey, inspecteur au service des automobiles genevois ainsi que Stéphane Ferretti, Karl Herrmann, Christine

Corminboeuf et Jeanne Kaehr, témoins de l'accident. Une deuxième audience d'administration de preuves a eu lieu le 27 janvier 1998. A cette occasion, ont été entendus Dominique Ducrot, sous-brigadier de gendarmerie et Marco Matute, témoin de l'accident.

Le 29 janvier 1998, le juge délégué a ordonné une expertise et désigné comme expert Philippe Masserey, ingénieur ETS de la division technique automobile; ce dernier s'est vu remettre un questionnaire établi sur la base de projets des parties, puis deux questionnaires complémentaires déposés par chacune des parties. Après s'être déplacé sur les lieux de l'accident en compagnie des parties, l'expert a remis son rapport d'expertise, daté du 12 juin 1997 (recte: 1998). Sur demande d'éclaircissements du demandeur, l'expert a déposé un rapport complémentaire n° 1. Par ordonnance du 2 octobre 1998, le juge délégué a rejeté la demande de nouvelle expertise formulée par le défendeur. Dans un rapport complémentaire n° 2, l'expert a répondu aux deux questionnaires complémentaires déposés par les parties. Il s'est encore prononcé sur une question complémentaire du demandeur dans un rapport complémentaire n° 3. Par ordonnance du 26 mars 1999, le juge délégué a donné suite à la requête d'audition de l'expert formée par le défendeur. L'expert a été entendu lors d'une audience d'administration des preuves qui s'est tenue le 26 mai 1999. Un délai au 15 juin 1999 a alors été fixé aux parties pour requérir des éclaircissements ou des compléments. Ni le demandeur, ni le défendeur n'ont fait usage de cette possibilité.

Entre-temps, le défendeur a, le 17 mai 1999, déposé deux expertises privées confiées à Dekra Automobil AG, organisme allemand spécialisé dans la reconstitution d'accidents. Ces documents ont été complétés par une lettre de la même société au mandataire du défendeur, faisant l'objet du chargé du 15 juin 1999.

Par ordonnance du 22 juin 1999, le juge délégué a déclaré la procédure probatoire close en ce qui concerne l'examen du principe de la responsabilité du défendeur dans la...

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